Biodynamie

L’illusion cosmique?

Texte: Alexandre Truffer, Photos: gettyimages / IgorShishov, Siffert / weinweltfoto.ch

Canaliser les forces de l’univers tout en sauvegardant les vers de terre: voilà la promesse de l’agriculture biodynamique. Dans un monde qui cherche à réconcilier le global et le local, cela peut sembler la panacée aux problèmes engendrés par le positivisme, le matérialisme et le consumérisme. Pour comprendre ce que recouvre le concept de biodynamie nous vous proposons dans ce dossier de revenir aux sources de cette agronomie alternative avant de s’interroger sur ses effets dans la vigne et dans les esprits.

Romanée Conti, Cristal de Roederer et bientôt Château d’Yquem: les plus grands mythes de la viticulture pratiquent officiellement la biodynamie. En Suisse, cette agronomie alternative a aussi convaincu les plus célèbres des producteurs helvétiques. Si Marie-Thérèse Chappaz, Raoul Cruchon, Raymond Paccot ou Blaise Duboux n’ont pas été les premiers vignerons suisses à se revendiquer des préceptes de Rudolf Steiner, ils ont clairement, par l’autorité que leur donne l’excellence qu’ils ont su atteindre, permis d’asseoir la notoriété et la respectabilité du label Demeter.

Revenir aux textes fondateurs

«Si des méthodes naturelles qui ont fait leurs preuves depuis des millénaires avant d’être sauvées de l’oubli par un visionnaire produisent d’excellents vins, pourquoi l’intégralité du vignoble ne se convertit-elle pas?», peut se demander l’amateur. Faut-il incriminer la pression des lobbys agrochimiques, le désir irrépressible de tuer leurs sols dans le but de produire des vins médiocres qui animerait secrètement la majorité des vignerons ou un conservatisme borné? Une enquête un peu plus poussée montre que notre hypothèse de départ est complètement erronée. Tout d’abord, ces méthodes n’ont rien de «naturelles». Elles n’ont pas fait leurs preuves. Elles n’ont rien à voir avec des pratiques ancestrales et Rudolf Steiner peut être affublé de beaucoup d’autres qualificatifs en sus de celui de visionnaire. A ce stade, il est peut-être utile de rappeler que l’auteur de cet article a aussi rédigé le volet romand du «Guide des vins en biodynamie» paru aux Editions Féret en 2013. Une précision qui entend rappeler au lecteur soupçonneux que ce dossier n’est pas fait par pure provocation, mais qu’il est né d’un cheminement progressif. Il y a sept ans, lorsqu’une journaliste française, Evelyne Malnic, m’a demandé de déguster les vins romands certifiés Demeter et de les noter, j’ai bien entendu jeté un coup d’œil aux exigences de ce label qui ne concernait à l’époque qu’une vingtaine de domaines viticoles. Viticulture naturelle tenant compte des rythmes planétaires et stellaires qui cherche à renforcer la plante plutôt qu’à la soigner: voilà grosso modo l’image que je m’étais faite de la biodynamie. Une représentation sans doute assez proche de celle de beaucoup de lecteurs. Cette vision quasi idyllique a toutefois commencé à se lézarder au fil des années. Plus j’approfondissais le sujet, plus certains points problématiques, mais curieusement laissés dans l’ombre par les convaincus de cette viticulture devenue de plus en plus en vue, apparaissaient. Il y avait d’un côté le constat qu’une partie non négligeable des producteurs très bien notés dans nos dégustations se tournaient vers la biodynamie. De l’autre, cette «philosophie» à laquelle ils se convertissaient semblait accumuler les incohérences et les superstitions.

Délires ou révélations

Rudolf Steiner est une figure qui divise. Pour ses admirateurs, c’est un «clairvoyant», une sorte de prophète qui a eu accès aux mystères de l’univers. Pour ses opposants les plus acharnés, c’est un gourou volubile qui a raconté n’importe quoi sur à peu près tout. Il faut reconnaître que Rudolf Steiner a écrit des dizaines d’ouvrages, souvent complexe, voire abscons, et que sa pensée ne peut être réduite aux phrases mises en exergue dans les marges de cet article. Mais tout de même, comment quelqu’un qui pense que notre planète ne tournait pas avant l’arrivée de l’homme «qui a le premier été incité à la rotation» ou qui affirmait que «si une île ne navigue pas de-ci, de-là... c’est qu’elle est maintenue non pas par les forces terrestres, mais par les forces des constellations» pourrait-il avoir trouvé les réponses aux principales questions du monde moderne.

Les dommages collatéraux de l’agrochimie

A l’origine, la biodynamie et la viticulture n’étaient pas destinées à se rencontrer. Le cycle de conférences données par Rudolf Steiner en 1924 et regroupées dans un ouvrage intitulé «Cours aux agriculteurs» est bien le texte fondateur de l’agriculture biodynamique. Comme l’explique Alexandre Gandjean à la fin de ce dossier, ce texte «a été écrit pour un domaine de 500 hectares vu comme un ensemble quasi-autarcique. Ce qui n’a rien de commun avec l’agriculture suisse. Quant à la monoculture, c’est une «hérésie». Sans parler du fait que l’alcool est proscrit par l’anthroposophie». En clair, rien ne semblait devoir lier viticulture et biodynamie. Si la greffe a pris, c’est que les réponses apportées aux problématiques spécifiques de la vigne par l’agronomie conventionnelle causaient trop de dommages collatéraux. En réaction, les plus indépendants des vignerons sont allés chercher des réponses alternatives et ils les ont trouvé dans la biodynamie.

Bio et plus

La plus grande force de la biodynamie réside sans doute dans le concept de «bio et plus». L’agriculture biologique utilise des pesticides, étymologiquement des «tueurs de nuisibles», tout comme l’agriculture conventionnelle. Ces produits – soufre, cuivre, spinosad – ont des effets mesurables, répétables et parfaitement observables. Ils protègent donc les cultures des ravageurs de manière efficace s’ils sont utilisés correctement. Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, les producteurs en biodynamie ne remplacent pas ces pesticides par des préparations à base de plantes ou de bouse fermentée, ils les rajoutent. La protection étant assurée par les produits autorisés en agriculture biologique, on peut se demander si les ajouts (préparats 500 et 501) de la biodynamie ont des effets permettant de renforcer les défenses immunitaires du cep. Là encore, le discours est bien rôdé, mais les études scientifiques ne montrent aucune différence entre culture biologique et biodynamique. De là à penser que répandre au petit matin de l’eau brassée pendant une heure dans le but de reconnecter la plante aux forces cosmiques «lucifériennes» ou aux forces terrestres «arhimanniennes» n’a pas plus d’effet qu’un cierge à Saint Vincent ou une bénédiction d’un marabout, il n’y a qu’un pas.

Les infimes marées du Léman

«Et les rythmes cosmiques, l’influence de la lune? Ne sont-ce pas des phénomènes connus depuis des millénaires dont on connaît l’existence, mais que l’on peine à comprendre?» En fait, le discours qui associe lune et agriculture mélange un phénomène réel (l’influence de notre satellite sur les marées) à beaucoup de raccourcis (lien entre cycle féminin et cycle lunaire) et quelques superstitions. La lune, symbole de plus en plus présent sur les bouteilles a bien (comme le soleil ou la rotation de la terre)un effet sur les liquides. Plus la masse d’eau est conséquente, plus la marée sera importante. C’est pour cela que les marées en Bretagne – baignée par l’océan Atlantique – sont beaucoup plus fortes que sur les rives de la Méditerranée. Quant au Léman, les plus grandes marées ne font bouger cette «petite gouille» que de quatre millimètres. On comprendra donc que si l’effet de la lune est infime, mais mesurable, sur un lac dont le volume avoisine tout de même les 90 000 milliards de litres, l’idée que ce même effet puisse influencer de manière significative un demi-litre de sève dans un plant de Pinot Noir ou les 75 centilitres d’une bouteille de vin est absurde. De fait, Rudolf Steiner lui-même précise que l’impact de la lune sur le vivant n’a rien à voir avec les lois de la gravitation. Il est dû à l’action des êtres lunaires qui «possèdent un corps physique d’une substance très subtile et ressemblent aux enfants de 6 ou 7 ans. Leur action nous est le plus souvent néfaste, mais ils agissent sans conscience. On les connaît comme hurleurs; leur bruit se répand loin au-delà de la Lune. En période de pleine lune leur activité atteint son paroxysme.» Rudolf Steiner fait par contre référence au lien entre cycle menstruel et cycle lunaire qui serait tous deux de 28 jours. Là aussi, l’argument est faux. Les études montrent que ce chiffre de 28 ne correspond qu’à une faible majorité (25%) de femmes occidentales et change radicalement en fonction des pays (32 jours en Inde).

Et pourtant, elle tourne!

Calendriers lunaires riment aussi avec jours fruits, feuilles, racines et fleurs. Certains professionnels refusent même de déguster, ou de présenter leurs vins, les jours considérés comme néfastes. En 2017, une étude néo-zélandaise a fait déguster plusieurs fois les mêmes douze Pinot Noir présentés dans le mnême ordre à une vingtaine de spécialistes. Résultat: aucune différence entre les jours fruits (supposés être les plus favorables) et les jours racine (totalement inappropriés). En outre, les chercheurs de la Lincoln University n’ont trouvé aucune différence analytique significative en fonction du type de jour. Bien entendu, on peut douter de cette étude faite dans un hémisphère qui n’a pas vraiment sa place dans une conception du monde basée sur l’astrologie chaldéenne. Si ceux qu’on appelle aussi les Babyloniens ont bien transmis le zodiaque aux Grecs, ils considéraient alors que la terre était un disque rond et plat (comme une pizza) flottant sur un océan plat autour de laquelle tournaient des planètes. Quant aux étoiles, elles étaient collées sur une voûte céleste. Comme on peut l’imaginer, les avancées scientifiques qui ont prouvé que la terre était une sphère intégrée dans un système solaire lui-même en mouvement auraient dû inciter les férus de zodiaque à revoir quelque peu leur cosmologie. En fait, il n’en est rien et les nombreux agendas qui vous enjoignent de jardiner avec la lune proposent tous les mêmes schémas (voir nœud lunaire) montrant une terre fixe autour de laquelle tournent la lune et le soleil.

Et pourtant, ils applaudissent!

On pourrait continuer à relever les libertés que Rudolf Steiner prend avec la réalité observable. Pourtant le plus surprenant reste l’incroyable tolérance dont fait preuve la très grande majorité des prescripteurs du monde du vin – qu’ils soient journalistes, sommeliers, blogueurs ou cavistes – envers les zélotes de la biodynamie. Comme si la bouse de corne avait pour corollaire d’inhiber toute posture critique. Cet été, la Revue des Vins de France a publié un hors-série dans lequel Nicolas Joly – propriétaire de la Coulée de Serrant et conférencier aussi actif qu’apprécié dans les cercles biodynamiques – déclarait: «Quel est le vrai coupable du changement climatique? C’est pas le CO2, mais les pollutions hertziennes». Le tout sans déclencher de grande polémique... Ce qui est au moins aussi incompréhensible que les raisons pour lesquelles un mouvement ésotériste abstinent est devenu la source d’inspiration des plus grands vignerons du moment.

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