Javier Rodríguez, Valladolid, Espagne

Le roi des terroirs

Texte: Ursula Geiger, Photos: GettyImages / Sima_ha

Javier Rodríguez, l’un des viticulteurs les plus chevronnés d’Espagne, est spécialisé dans les vins de terroir sophistiqués. Et il connaît comme personne le cépage Tempranillo. Pour preuve, son idée de placer ses vins dans des fûts qui ont servi à produire du whisky.

En hiver, un vent glacé souffle sur le nord-ouest de la Meseta (le plateau en espagnol) castillane, emportant avec lui les feuilles rouges des vignes et les faisant tourbillonner entre les larges allées du vignoble. Le fleuve Duero est presque tari, l’été chaud et sec l’a épuisé et il n’a pas encore plu. Avec ce temps, le mieux est de se réfugier dans un bar du petit village vigneron de Toro pour se réchauffer avec une bonne Sopa de Ajo (soupe à l’ail) et une part de Migas, des croutons cuits à l’huile et à l’ail. Il faut bien sûr les accompagner d’un rouge puissant à la douce acidité et aux notes de baies noires, de cuir et d’un peu de réglisse. Un soupçon de sueur de cheval fait aussi partie de l'expérience. Le pittoresque village de Toro est situé entre les villes de Zamora et de Tordesillas sur la route nationale 122 et donne son nom à une appellation viticole, DO Toro, ainsi qu’à son principal cépage, le Tinta (ce qui signifie rouge) de Toro.

Implacable soleil

Dans ce coin d’Espagne, l’agriculture représente le principal secteur économique. On y cultive des céréales, du maïs, des tournesols, des pois chiches et de la betterave. Dans la vallée, les légumes sont produits sur les rives du Duero. Les vignes poussent sur des coteaux situés entre 620 et 830 mètres d’altitude. Étant donné l’aridité du sous-sol, les vignes taillées en gobelet sont très espacées. Les sols sont poreux, en partie peu profonds et globalement très sablonneux. Avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an et des précipitations peu élevées (entre 350 et 500 millimètres), les vignes ont toujours besoin de réserves et sont avares en raisins. Javier Rodríguez se rend souvent dans cette région aride pour explorer ses meilleurs parcelles. Javier le barbu, qui ne sort jamais sans sa veste kaki, se fond dans le paysage et semble toujours en plein safari. C’est un véritable chasseur de terroirs dont l’arme de prédilection est la tarière. Personne ne connaît mieux que lui les propriétés physiques et chimiques du sol ou leurs effets sur la qualité des raisins. Il a même effectué des analyses de terroirs pour des domaines renommés du Médoc et ausculté dans les moindres détails les bords de la Gironde.

Depuis 2003, il met son savoir et ses compétences au service de l’entreprise familiale, Rodríguez Sanzo. En tant que directeur technique, il a propulsé cette cave au sommet du vignoble espagnol en une dizaine d’années seulement. Aujourd’hui, il s’occupe des vignobles et des crus de dix régions viticoles ibériques, surtout dans le Nord-Ouest. Les ceps de la région DO Toro sont le morceau de choix de la gamme des vignobles Rodríguez Sanzo. Dès le Moyen-Âge, Alfons IX, roi de Castille et de Léon s’en targuait: «J’ai un taureau (Toro), qui m’apporte du vin, et un lion (León), qui le boit». En 1208, le monarque fit don de grands vignobles au clergé de Saint-Jacques de Compostelle pour qu’il fasse commerce de vins avec les pèlerins, qui traversent aujourd’hui encore la Meseta par groupes entiers et qui montrent un immense respect pour le soleil et le vent. Au 14e siècle, le commerce des vins à Séville n’était autorisé que pour les vins de Toro. Il se dit même que Christophe Colomb aurait chargé la Santa Maria de ces crus puissants. La région a profité de sa longue tradition commerciale et de la renommée de ses vins, alors que la France souffrait du mildiou et choisissait d’importer des vins rouges du nord-ouest de l’Espagne. La viticulture en Castille a perdu de l’importance à cause de la sécheresse qui a sévi entre 1945 et 1949, assoiffant la Meseta. Il a fallu se mettre au blé. De nombreux vignobles ont alors été détruits. Ce n’est que dans les années 1970 que les coopératives sont revenues à la viticulture. En 1987, quand l’appellation DO Toro a été créée, il n’y avait que neuf domaines dans la région. Aujourd’hui, ils sont 63 et exportent 35% de leur production. Sur environ 5500 hectares de vignes, 80% des ceps sont taillés en gobelet. Et sur près de 1200 de ces 5500 hectares, les ceps ont plus de cinquante ans.

«Je respecte le raisin que le vignoble me donne et j’essaie d’en tirer le meilleur.»

Les sols sablonneux et arides ne laissant aucune chance au phylloxéra, 60% des ceps sont francs de pied. On imagine donc aisément le terrain de jeu que Toro représente pour Javier Rodríguez. Avec un tel cadre, les vins de cette région sèche baignée par le soleil ont un taux d’alcool élevé, il n’est pas rare qu’ils dépassent les 15°. Une récolte anticipée et une taille sophistiquée permettent aujourd’hui d’obtenir des vins à 13,5°, plus fermes et plus acides. Le principal cépage de la région est le Tinta de Toro, à la génétique identique à celle du Tempranillo, mais qui a vu au fil du temps se développer des clones qui n’ont encore été ni étudiés, ni nommés. Comparé aux autres cépages, le Tempranillo absorbe plus de potassium, ce qui augmente le pH et peut avoir une influence sur le potentiel de garde. C’est pourquoi l’accent est aujourd’hui mis sur davantage d’acidité et une diminution du taux d’alcool. De nos jours, le raisin est récolté en moyenne un mois plus tôt qu’il y a dix ans. Mais les rouges de Toro restent puissants et des œnologues comme Javier Rodríguez déterminent la production de vin sur les parcelles. Comme pour «El Teso». Les raisins viennent de ceps qui ont été plantés en 1886 et qui se trouvent à 830 mètres au-dessus du niveau de la mer. Après la récolte, les raisins sont soigneusement sélectionnés sur la table de tri avant d’être protégés contre l’oxydation par de la neige carbonique et placés dans des réservoirs en bois pour initier la fermentation. Le credo de Javier dans la cave peut se résumer à un choix soigneux du bois suivi d'un long élevage sur lies. En effet, l’œnologue choisit lui-même les bois de ses barriques et de ses foudres. Là aussi, le terroir joue un rôle essentiel. Il surveille même de très près la maturation des bois dans la tonnellerie. Et le choix des fûts à whisky n’intervient que pour les Toros d’une parcelle sélectionnée mûrissant pendant 18 mois. Le whisky a absorbé les tanins du bois sans fermer ses pores. Il y a clairement une touche de whisky dans la cuvée, surtout au palais, où le vin est presque crémeux. Un baume pour l’âme quand la tempête automnale balaie les dernières feuilles des arbres à l’extérieur.

Vins de l’offre du club

DO Toro Las Tierras de  Javier Rodriguez El Teso 2014

2020 à 2030

Rouge cerise foncé aux reflets rubis. Baies noires, mûre et myrtille sont associées à des notes épicées fermes et séduisantes, et légèrement crayeuses. Beaucoup de jus au palais, les tanins soyeux parfaitement liés font de ce Toro un vin idéal pour un jour de fête.

Mariage: parfait avec les daubes, les cuisses de chevreuil et les pâtes aux sauces relevées. 

 

DO Toro Tempranillo im Whisky-Fass gereift 2017

2020 à 2025

C’est le vin rouge idéal pour les jours de grand froid: fruit foncé et rond, notes rôties sensibles, notes de malt et de galet. Tanins veloutés et puissance, parfaitement capturés par l’acidité bien maîtrisée. 

Mariage: vin de méditation à savourer au coin du feu les soirs d’hiver

 

DOCa Rioja La Senoba

2019 à 2030

Rouge cerise dense et lumineux. Nez vif, épicé et floral, après aération notes de fruit noir, de tabac et d’un peu de réglisse. Longueur exceptionnelle en bouche, très dense, aux nuances florales parfaitement liées et dégageant charme et élégance. 

Mariage: accompagne les spécialités au barbecue, le cochon de lait et aux plats mijotés. 

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