Internet

LE VIN PRIS DANS LA TOILE

Texte: Alexandre Truffer

Vecteur de communication incontournable du 21e siècle, internet entretient une relation ambivalente avec le monde du vin. Pour ce dossier, nous nous sommes intéressés à l’influence, au modèle économique et à la pérennité des blogs, des réseaux sociaux et des sites marchands spécialisés dans le domaine de la vigne et du vin.

«Les blogs du vin continueront de se plaindre de leur incapacité à rendre leurs sites économiquement viables et à être reconnus» était l’une des quinze prédictions réalisées par Robert Parker à l’aube de l’année 2014. Laissons de côté les réactions furibardes provoquées par cette déclaration ponctuée d’un petit sourire, pour s’intéresser au fond du message. Après tout, l’Américain reste le critique le plus influent de tous les temps et ses prophéties se révèlent assez souvent exactes. Cet avis tranché n’est toutefois pas partagé par tous ses pairs comme vous pourrez le découvrir dans l’interview de Jancis Robinson (publiée en page 20 et suivantes). Celle-ci postule au contraire qu’un blog, une forte présence sur Twitter et un livre édité à compte d’auteur lui paraissent le meilleur, voire le seul moyen, de réussir dans le journalisme du vin à l’heure où les magazines imprimés semblent voués à disparaître. Pour preuve de ses dires, la dame met en avant son site (où 50 000 internautes payent entre 100 et 120 francs d’abonnement par année) et les 204 000 disciples de son compte Twitter. Des chiffres similaires à ceux mis en avant par l’avocat du Maryland qui compterait un nombre équivalents d’abonnés (entre 80 et 125 francs par an) sur le site qu’il a créé, et revendu en 2012, ainsi que 60 000 disciples sur Twitter.

Payer pour voir

Pour l’heure, les portails internet capables de demander, et surtout de recevoir, une centaine de francs pour un abonnement annuel restent rares. La majorité des sites rédactionnels sur le vin (une définition qui exclut les parties informatives de négoce en ligne) sont animés soit par des journalistes, soit par des passionnés. Si les professionnels munis d’une carte de presse se servent de leur site comme d’une vitrine pour obtenir des mandats, la situation des amateurs est plus complexe. Lorsque les blogs ont fait leur apparition, il était de bon ton de dire que ces nouveaux médias allaient permettre à chacun de proposer un contenu pertinent, voire de révéler des talents littéraires. La sélection naturelle, et l’apparition des réseaux sociaux où l’on peut raconter sa vie sans faire d’efforts de syntaxe, a fait son œuvre pour laisser désormais place à quelques spécialistes qui se sont démarqués par un ton ou une thématique particulière. Problème, même dans cette élite, personne ne parvient à l’heure actuelle à générer des revenus publicitaires dignes de ce nom. Pour les passionnés, la question de la rentabilité se pose assez vite. Tenir un blog de qualité sur le vin implique un investissement en temps conséquent pour participer à des dégustations, rencontrer des producteurs et écrire des billets à un rythme régulier. Comme cet engagement n’est pas rémunéré, il doit être pris sur la vie de famille. L’expérience montre que si celle-ci veut bien faire preuve de tolérance envers cet élan créatif d’un de ses membres, deux ans marque souvent la limite de la patience de l’entourage. Confronté à un choix, le blogeur n’a qu’une option s’il veut continuer: gagner de l’argent avec sa passion pour que le blog empiète sur la vie professionnelle et non familiale. Là encore, deux options cohabitent: faire payer l’utilisateur en limitant l’accès aux informations à des abonnés ou proposer aux producteurs des publi-reportages (plus ou moins indiqués comme tels). En Suisse romande, cette évolution est en marche puisque plusieurs des six plateformes internet spécialisées sur le vin, vont dansles prochains mois, soit devenir payantes (romanduvin.ch et burgweg-wein.ch), soit offrir des services spécifiques aux vignerons (vins-confédérés.ch).

La valeur des réseaux sociaux

Dans l’interview qui suit, Jancis Robinson explique que les journaux spécialisés sur le vin vont être les premiers à disparaître et que tout se passe aujourd’hui sur Twitter, Facebook étant déjà dépassé auprès de la jeune génération. Si son analyse se révèle correcte, cela signifie que le monde du vin a un gros problème avec les réseaux sociaux, car comme l’a expliqué le vigneron André Fontannaz lors du Vinocamp de Lausanne, le travail conséquent consenti par le domaine sur le web a, en termes de ventes, un impact beaucoup plus faible qu’une participation à une foire. Vu le faible nombre de vignerons qui avaient fait le déplacement les 22 et 23 mars 2014 à l’Ecole Hôtelière de Lausanne pour assister à cette manifestation regroupant une centaine de blogeurs spécialisés sur le vin, cette position est largement partagée dans le vignoble suisse.

Bien qu’internet soit un média global, son importance varie fortement d’un marché à l’autre. En France, la loi Evin qui interdit la publicité pour le vin et dont les juges font une interprétation restrictive a poussé le monde du vin, producteurs et consommateurs, vers internet. En Suisse, non seulement le parlement n’interdit pas la publicité pour le vin, mais il a autorisé depuis le 1er février 2010 les radios privées et les télévisions à diffuser de la publicité pour le vin et la bière. Cette libéralisation, qui ne découle pas d’une vision moins prohibitionniste, mais d’une concession à Bruxelles dans le cadre de la négociation du programme de promotion du cinéma MEDIA, a en quelque sorte freiné le développement d’une présence forte du vin suisse sur le web en laissant ouverts d’autres canaux de communication.

La vente sur internet

En août 2011, Paul Vetter, le journaliste de la télévision valaisanne Canal9 réalisait un sujet sur la vente de vin sur Ricardo. ch. Il constatait que, parmi les 1500 vins en vente sur le site de vente aux enchères le plus utilisé en Suisse, on comptait un millier de crus français et seulement une trentaine de vins helvétiques. Il citait le communiqué de presse du portail de commerce en ligne expliquant que sur les sept millions de francs dépensés en un an par les utilisateurs du site pour des achats de vin, seuls 61 000 francs l’ont été pour des crus helvétiques. Lors de la rédaction de cet article, le 24 mars 2014, ce même site affichait 1594 articles dans la catégorie vin dont 30 rouges et 18 blancs suisses. Dans le commerce internet, comme ailleurs, le vignoble suisse semble quelque peu en dehors des tendances et les boutiques virtuelles qui se sont spécialisées dans les productions helvétiques n’ont pas révolutionné le commerce du vin. Ainsi, Hervé Badan, directeur du site Swiss Wine Sélection, qui propose une sélection pointue de vignerons renommés, confi e que le chiffre d’affaires a doublé entre 2012 et 2013, mais qu’il ne permet pas encore de salarier les fondateurs de l’entreprise. Même constat du côté de Rhonalia qui commercialise des vins de toute la vallée du Rhône en Suisse et en France: la vente en ligne progresse, mais ne remplace pas les commerces physiques.

Le monde des applications

Terminons avec un domaine virtuel où le vignoble suisse a réalisé de vrais investissements: celui des applications. En 2012, l’association VINEA a choisi de remplacer la version papier du Guide des Vins Suisses, un ouvrage cofinancé par la Confédération qui présentait plus de 400 producteurs helvétiques en trois langues (français, allemand et anglais), par une application gratuite baptisée App VINEA vins suisses. Une année après, celle-ci avait été téléchargée près de 5000 fois et mise à jour 12 000 fois. Ce bon score reste toutefois modeste face aux géants de l’internet comme Vivino, qui revendique 1,6 millions de téléchargements. Selon Simon Baudrier, analyste de l’entreprise 33entrepreneurs présent au Vinocamp de Lausanne qui a réalisé une étude sur les applications consacrées au vin, les passionnés de vin peuvent télécharger plus de 1400 applications sur leur portable à l’heure actuelle. Là encore, il existe des grandes variations de popularité puisque seules une quarantaine d’entre elles, presque toutes gratuites, affichent plus de 100 000 téléchargements. Bien qu’ils soient impressionnants, une fois mis en perspective avec la consommation globale de vin dans le monde (plus de 32 milliards de bouteilles en 2010 selon l’OIV), ces chiffres montrent que la majorité des consommateurs n’a pas encore sauté le pas de la consommation 2.0

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