«No compromise»

Ces dernières années, personne n’a autant marqué la scène viticole de l’Istrie que Mladen Rožanić. Il fait appel à un maximum de connaissances pour créer des vins avec un minimum d’interventions. Son Malvazija Antica, ainsi que son Teran Re sont salués comme des vins uniques.

Sa renommée dépasse largement les frontières de sa terre natale idyllique sur la péninsule croate d’Istrie. Mladen Rožanić, âgé de 53 ans, est la figure de proue internationale du mouvement des vins oranges, qui agite la sphère viticole depuis quelque temps. Aujourd’hui, les vins oranges sont en vogue et c’est pour cette raison qu’il a décidé de s’éloigner de ce concept. «Les tendances sont toujours très vagues. C’est pourquoi je préfère qualifier mes crus de vins à longue macération ou tout simplement de vins primitifs», explique-t-il. Ce n’est pas un hasard si la notion de temps est présente dans le premier terme. En effet, Rožanić se refuse à recourir aux techniques de vinification modernes pour accélérer le vieillissement de ses vins. Il prend le chemin opposé et laisse à ses vins autant de temps que nécessaire pour qu’ils s’équilibrent d’eux-mêmes. «La patience est une technique fantastique», annonce-t-il. Ses crus patientent donc entre trois ans et demi et cinq ans dans de grands foudres en chêne français ou slavon de 3800 litres, avec une dose minimale de soufre (de neuf à onze milligrammes de SO2 libre par litre) avant d’être mis en bouteille. Cette longue étape leur confère une certaine stabilité, mais surtout elle leur permet d’exprimer au mieux leur caractère propre. Mladen Rožanić est issu d’une dynastie vénitio-croate du nom de «Roxanich» dont il a baptisé sa cave. Fils d’un ingénieur naval et professeur d’université, il a grandi à Opatija, ville portuaire d’Istrie.

Si le domaine Roxanich doit en partie sa renommée aux cépages internationaux, ses deux vins les plus intéressants sont des Istriens pure souche, qui mettent en avant une philosophie à la fois très primitive et très innovante. Le Malvazija Antica macère pendant plus de 80 jours, avant de passer plus de trois ans dans de grands fûts en bois. C’est ainsi que naît un élixir ambré aux arômes de fleurs d’acacia, d’huile d’amande, d’herbes de garrigue, de noix et de sel de mer aux accents iodés. En bouche, ce vin révèle une symbiose parfaite entre finesse, complexité et fraîcheur rectiligne. L’élaboration de ce vin n’a rien de nouveau: on produisait la plupart des vins de la même façon en Istrie il y a déjà 200 ans. Mais l’Antica n’est pas un simple vin rétro. C’est aussi un vin qui intègre tout le savoir-faire viticole moderne. Rožanić utilise volontairement des levures naturelles et renonce, toujours volontairement, à tout autre additif. Il se refuse même à contrôler la température de fermentation et d’élevage. Ce n’est qu’à la fin, lors de la mise en bouteille, qu’il s’en remet à la technologie. Les vins sont mis en bouteille sous vide, protégés de l’oxydation grâce à du gaz inerte, pour qu’ils puissent vieillir pendant plusieurs années malgré un taux de sulfites minime. Le Teran Re de Rožanić est un cru tout aussi unique. Les crus Teran traditionnels d’Istrie sont si marqués par l’acidité que les étrangers en sont, pour ainsi dire, totalement ébaubis. Le Teran Re est composé à 80% de Teran d’Istrie et à 20% de Refosco, un cépage un peu plus doux issu de la région italienne du Frioul.

«La patience est une technique de vinification fantastique. Les vins ont besoin de temps pour se dévoiler.»

Mladen Rožanić Vigneron

D’après des analyses ADN, le Refosco et le Teran appartiennent à la même variété, des frères en quelque sorte. En assemblant les deux cépages et en élevant ses vins dans de grands fûts pendant plusieurs années, Rožanić donne une interprétation du Teran, qui offre davantage d’ampleur et d’onctuosité sans altérer le caractère unique de ce vin primitif d’Istrie… Mladen Rožanić en est convaincu: les vins présentant un certain équilibre entre corps, tanin, alcool et acidité n’ont pas besoin de soufre pour se garder. Cela fait longtemps que l’homme se fi e davantage à son intuition qu’aux manuels. Il y a quelques années, il a remarqué la présence de Brettanomyces dans un fût de vin rouge. Mais après plusieurs dégustations, il est arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’un type de Brett bénin qui ne se traduisait pas par des odeurs d’étable, mais plutôt par des arômes très intéressants d’épices, de cuir et de lard. Rožanić a mis de côté le fût en question et a continué l’élevage du vin qu’il a finalement utilisé dans une cuvée rouge encensée par la presse spécialisée. «Je n’avais pas du tout l’intention de commettre d’erreurs. Mais je suis aussi convaincu que les vins parfaitement vinifiés sont rarement de grands vins», déclare le vigneron non conformiste d’Istrie.