Vully
IL ÉTAIT UNE FOIS LE VULLY
Depuis 2012, les vignobles du Vully fribourgeois et du Vully vaudois ont fusionné en une appellation d’origine intercantonale. Survol historique et géographique de cette AOC de 150 hectares en plein essor.
Au cœur de la région des Trois-Lacs (Morat, Neuchâtel et Bienne), le Vully se partage entre les cantons de Vaud et de Fribourg. La région tire son nom du Mont Vully, une colline de 653 mètres d’altitude (le lac affiche pour sa part 431 mètres au-dessus du niveau de la mer) située à quelques kilomètres de Morat. Sur celle-ci, un oppidum celte construit au 2e siècle avant Jésus-Christ montre que ce site dominant les alentours jouait déjà un rôle important dans l’Antiquité. Avec la conquête de l’Helvétie par les légions au premier siècle avant Jésus- Christ, et le choix d’Aventicum, devenue Avenches, comme capitale, la région a été fortement romanisée. «L’apparition de la culture de la vigne, ou du moins sa systématisation, date sans doute du début de l’ère chrétienne, avec l’arrivée des colons romains, explique Ivan Mariano, le directeur du Musée de Morat. Toutefois, nous n’avons pas retrouvé de textes antiques relatifs au vignoble du Vully. Pour cela, il faut attendre le 11e siècle. Ensuite, dès le 14e siècle, plusieurs documents, surtout législatifs, traitent de la vigne et de son commerce.» Grâce aux recherches entreprises par l’historien pour la mise en place de l’exposition «In Vully veritas», on sait que vin rouge et vin blanc étaient consommés dans la région à partir des années 1400. L’abondance de textes de lois et d’actes de vente prouvent le dynamisme de la région et mettent en avant la pérennité des exploitations puisque des noms comme Derron, Javet, Chervet, Chautems – des noms de famille que l‘on retrouve aujourd’hui encore à la tête des domaines de la région – sont déjà mentionnés dans des registres vieux de cinq siècles.
Bailliage commun de Fribourg et Berne
Jusqu’en 1475, le Vully appartient à la Savoie. Suite à la bataille de Morat, où celle-ci est alliée à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, les territoires dépendant de l’ancienne châtellenie de Morat devient un bailliage commun des cantons de Berne et Fribourg. En 1803, ce territoire revient au canton de Fribourg. Le Vully vaudois faisait lui partie du Pays de Vaud qui est progressivement occupé par Berne à partir du 16e siècle.
Comme sur le reste du continent, l’économie viticole se voit chamboulée par l’arrivée du phylloxéra. L’insecte arrive assez tardivement dans le Vully. Il est attesté pour la première fois en août 1903 à Bellerive, soit près de dix-sept ans après son arrivée dans le canton de Vaud. A l’époque la partie vaudoise du Vully comptait 150 hectares de vignes, aujourd’hui elle n’en compte plus qu’une cinquantaine. Du côté fribourgeois, malgré des dégâts très importants, le vignoble n’a quasiment pas diminué et occupe, à l‘heure actuelle comme il y a cent ans, une centaine d’hectares. L’arrivée progressive de la mécanisation au 20e siècle est entravée par le manque de voie d’accès dans des vignes qui sont alors très morcelées. A l’image d’autres régions, le Vully fribourgeois décide d’un remaniement parcellaire en 1962. Celui-ci, qui durera jusqu’en 1992, est accompagné de travaux de drainage et de construction de chemins viticoles qui permettent une rationalisation du travail à la vigne. Du côté vaudois, des remaniements parcellaires ont aussi lieu, mais sont pilotés par les communes et non par le canton.

L’impulsion de la Confédération
Bien que voisins, Vully vaudois et fribourgeois ont longtemps cohabité sans trop se mélanger. Dans un précédent article sur le Vully (mars 2013), Christian Vessaz expliquait que «L’unification était un thème de discussion, mais il a fallu un élément déclencheur pour qu’elle se réalise.» En 2010, coup de tonerre! L’Office Fédéral de l’Agriculture retire l‘appellation d‘origine contrôlée aux deux Vully pour manque d’eurocompatibilité. En effet, Bruxelles interdit à deux AOC différentes de porter le même nom. Sous la pression de la Confédération, la fusion de la région est menée tambour battant. A noter que personne ne songe aujourd‘hui à revenir sur ce mariage arrangé célébré en juillet 2011.
De la mollasse et des marnes
Partagé entre deux cantons, composé de petites entités qui diffèrent par leur altitude, leur orientation et leur pente, le vignoble du Vully se caractérise plus par sa diversité que par ses caractéristiques communes. Néanmoins Fabrice Simonet qui a réalisé son travail de diplôme sur les sols du Vully fribourgeois explique que la géologie des zones viticoles du Mont-Vully n’a pas grand-chose à voir avec celle de la plaine environnante. «Les sols du Mont-Vully n’ont pas été formés par le travail relativement récent des glaciers, mais se composent de roches beaucoup plus anciennes (environ 35 millions d’années). Si l’on simplifie à l‘extrême, il existe deux grands types de sols dans le Vully. Tout d’abord des zones de grès ou de mollasse – du sable consolidé par du calcaire – qui ont pour particularité de former des sols très secs et très drainants. A l’opposé, on trouve des sols de marne, de l’argile mélangée à du calcaire, qui composent des sols lourds, plus riches et qui retiennent beaucoup mieux l’eau.»
En ce qui regarde le climat, les vignerons craignent le Joran, un vent du nordouest, qui amène parfois de la grêle et bénissent la proximité du lac de Morat. Celui-ci empêche les gels tout en servant de régulateur thermique. La pluviométrie, qui oscille entre 870 et 950 millimètres par an, comme la situation générale de la région, plutôt au nord de la zone de culture de la vigne, favorise les cépages blancs et particulièrement les variétés aromatiques comme le Freiburger, le Gewürztraminer, le Sauvignon Blanc ou le Pinot Gris.
TOURISME DOUX AU VULLY
Petite Riviera discrète sur les rives du lac de Morat, le Vully a toujours attiré une clientèle d’amateurs de tourisme doux. Hôtels et restaurants se sont adaptés pour proposer à ces épicuriens une cuisine raffinée qui fait la part belle aux produits (poissons, asperges, rhubarbe) et surtout aux vins de la région.

HÔTEL DE L’OURS À SUGIEZ
Adresse incontournable du Vully, l’Hôtel de l’Ours offre huit chambres, avec Teddy Bear et désirée de vin autochtone. Ce lieu plein de charme propose aussi une cuisine élégante dans son restaurant noté 14 points Gault & Millau. On y admire le plafond, récupéré d’une boucherie parisienne du 18e, la carte des vins – 800 références – et les arrangements floraux de Catherine Mao, qui dirige l’établissement avec son mari Martin. Restaurant fermé le lundi et le mardi.
www.hotel-ours.ch

RESTAURANT DU PORT À MÔTIER
Présenté comme le meilleur restaurant de poisson de la région, l’établissement de Philippe et Gilles Pantillon possède l’une des plus belles terrasses donnant sur le lac. Il peut accueillir une soixantaine de convives au restaurant et une quinzaine dans le bistro. Perches, féras et plus rarement brochet côtoient les spécialités de saison. La carte des vins fait la part belle aux cuvées haut de gamme des jeunes vignerons de la région. Restaurant fermé le lundi et le mardi.
www.restaurant-du-port.ch

LE CAVEAU À SALAVAUX
Entre deux séances de prises de vue, notre visite au Caveau de Gilles et Charlotte Thiroux nous a permis de rencontrer un couple de jeunes professionnels compétents et passionnés. La carte orientée vers les produits frais et de saison change toutes les six semaines. Si la cuisine est d’inspiration française (il faut essayer la superbe joue de boeuf!), les vins proviennent surtout des vignobles alentours.
AUBERGE DES CLEFS À LUGNORRE
Noté 16 sur 20 par le Gault & Millau, le restaurant de Werner Rätz propose une cuisine inventive et de caractère. Le chef organise régulièrement des soirées mets et vins et possède une cave qui ravira les amateurs. Les meilleures spécialités du Vully cohabitent avec des classiques du monde entier, parfois dans des millésimes exceptionnels et toujours à des prix raisonnables. Restaurant fermé le mercredi et le jeudi.
www.aubergedesclefs.ch
RESTAURANT BEL-AIR À PRAZ
Cette halte gourmande sur le trajet de la balade viticole entre vignes et lac regroupe un hôtel de huit chambres, un restaurant et une cave qui met en bouteille la récolte de cinq hectares de vignes. On y vient manger les poissons pêchés à quelques encablures que l’on accompagne d’un Pinot ou d’un Traminer proposés à des prix plus que raisonnables. Restaurant fermé le jeudi.
www.bel-air-lac.ch
MUSÉE DE MORAT
Ce musée qui retrace 6000 ans d’histoire, du néolithique à l’histoire moderne en passant par les périodes celte, romaine, médiévale et bernoise a servi de décor aux photos réalisées pour ce reportage. Dirigée par Ivan Mariano, l’institution a accueilli en 2014 une exposition temporaire sur la vigne et le vin dans le Vully intitulée «In Vully veritas» qui a permis d’approfondir les connaissances sur ce petit vignoble atypique. Ouvert d’avril à décembre, mardi à samedi: 14h à 17h dimanche: 10h à 17h.
www.museummurten.ch
LE VULLY SE DOTE D’UNE CHARTE DE QUALITÉ
Freiburger et Traminer étaient les dénominations traditionnelles des vins élaborés avec les cépages Freisamer et Gewürztraminer. Depuis 2014, ces termes deviennent des distinctions réservées aux cuvées respectant les prérequis d’un label de qualité: la Charte Vully.
En octobre 2013, tous les producteurs qui élaborent du Freiburger et du Traminer dans l’appellation, ont signé la Charte Vully qui crée une subdivision qualitative pour les blancs issus des cépages Freisamer et Gewürztraminer. Désormais, pour s’appeler Freiburger ou Traminer, les vins de l’AOC Vully devront suivre un cahier des charges spécifique qui exige une production limitée à 6dl/m2 (soit 850g/m2 contre 1,1kg/m2 pour l’AOC de base) et un taux de sucre de 87°Oechslés minimum (65° Oe pour obtenir l’AOC). Le document mis en place par l’Interprofession des vins du Vully impose aussi un contrôle des vignes, interdit la chaptalisation (qui peut être autorisée à titre exceptionnel en cas d’année tardive) ainsi que toute forme d’enrichissement du moût ou du vin. Le coupage, de même que l’utilisation de copeaux de bois se voient prohibés. Les raisins doivent être produits, vinifiés et mis en bouteille dans la région. Concernant l’élevage, un minimum de six mois sans contact avec le bois avant mise en bouteille est exigé (ce qui n’interdit pas un passage en barrique, si cette période de six mois est ensuite respectée). Enfin, les vins vinifiés secs (avec un maximum de 8g/l de sucre résiduel), seront soumis à une dégustation de contrôle. Le document encourage aussi «un travail proche de la nature» (ce que l’on peut traduire par une incitation à se rapprocher de la biodynamie). Il demande enfin une valorisation et une replantation de sélections massales issues du Vully.