Bucolique Brunello

Les vins du domaine Camigliano à Montalcino se caractérisent par une élégance que Gualtiero et Isabella Ghezzi obtiennent en misant sur une sélection stricte des meilleurs clones de Sangiovese et un solide savoir-faire.

Gualtiero Ghezzi se penche pour ramasser une poignée de terre. Entre le sable et les fragments de calcaire scintille un coquillage abîmé: un fossile de plusieurs milliers d’années rappelant que cette partie de la Toscane était jadis recouverte d’eau. Seul le sommet de la colline de Montalcino, où est perchée la petite ville médiévale, était jadis émergé et formait un îlot au-dessus des flots. C’est pourquoi la structure du sol est si variée ici. Au sud-ouest en revanche, en direction de la vallée de l’Ombrone et de la mer  Tyrrhénienne, les ceps de Sangiovese destinés à produire le Brunello di Montalcino plongent leurs racines dans un sol argilo-calcaire. C’est d’ailleurs ici que se trouve le hameau de Camigliano. Cette commune traversée de ruelles étroites, qui était autrefois un carrefour routier important sur la route de Grosseto au nord, se fond aujourd’hui dans le paysage et ne compte plus que quelques habitants. Il y a peu de temps encore, un prêtre célébrait la messe tous les dimanches dans la petite église. Mais l’âge venant, il est parti à la retraite.

Un ancien palais est niché dans un jardin bien entretenu au centre de Camigliano.Il accueille la famille Ghezzi lorsque celle-ci ne réside pas à Milan. Le palais jouxte la cave, construite directement à flanc de coteau il y a quelques années à peine. Camigliano n’est pas un village à proprement parler, mais un domaine viticole qui, depuis soixante ans, appartient à une famille d’entrepreneurs milanais, les Ghezzi. Le domaine compte 530 hectares de terres fertiles, dont 92 hectares consacrés à la vigne. Cinquante hectares sont même réservés au Brunello di Montalcino, la vedette de la cave élaborée avec des raisins de Sangiovese. Les cuvées phares du domaine sont le Brunello Annata Camigliano et le Brunello Riserva Gualto. L’ingénieur milanais Gualtiero Ghezzi, qui dirige aujourd’hui le domaine avec sa fille Isabella, m’attend déjà. Il tient à me montrer les vignes avant de me faire découvrir la cave. Deux moyens de locomotion s’offrent à nous: le cheval ou le 4x4. Nous optons pour le Landrover.

Plus qu’un investissement

Il vient de pleuvoir et le tout-terrain a du mal à maintenir sa trajectoire dans certaines côtes. Autant dire que le chemin du retour nous aurait semblé bien long à pied, si nous étions restés coincés. Et pour cause: les 92 hectares de vigne sont répartis sur différents sites rattachés à sept poderi, des fermes exploitées jadis par des tenanciers. C’est au temps de la mezzadria, du métayage, que le domaine viticole a acquis sa forme actuelle, m’explique Gualtiero Ghezzi juste avant de dégager la Landrover de la boue. Lorsque son père Walter Camigliano l’a acheté en 1957, ce dernier cherchait simplement à investir et ne voulait pas acquérir un domaine viticole en Toscane. «Il s’agissait d’une exploitation mixte classique qui produisait du lait, de la laine, du vin et évidemment des céréales», raconte Gualtiero Ghezzi, «peu de choses ont changé jusque dans les années 1970. A cette époque, le Brunello est arrivé sur le devant de la scène et le vin est devenu essentiel pour l'exploitation.» Les céréales n’ont pas disparu pour autant, ni les fruits, le sucre ou le tabac.

Ce qui n’était qu’un investissement s’est mué rapidement en une véritable passion, surtout depuis que Gualtiero Ghezzi a repris les rênes en 1984. Bien qu’il continue de faire des allers-retours entre Milan et la Toscane, Camigliano demeure au centre de sa vie. Le paysage change devant nous brutalement: des calanches, ces cheminées de fées, se dressent en contrebas au milieu du maquis verdoyant, tandis que de petits cours d’eau traversent les vallées, puis une dense forêt de feuillus fait son apparition, suivie quelques mètres plus loin par de nouveaux vignobles. Gualtiero Ghezzi nous explique qu’il a réservé les meilleures parcelles de son domaine à la viticulture en s’appuyant sur des études de sol et des vinifications d'essai. Il a planté des clones de Sangiovese sur les parcelles les plus adaptées aux raisins blancs. La période de végétation est l’occasion de réaliser diverses opérations dans le respect des principes biologiques, et notamment d’éclaircir la vigne. Les raisins ne sont récoltés qu’une fois qu’ils ont atteint leur maturité optimale, soit à partir de la mi-septembre pour le Sangiovese. Le domaine off re un rendement compris entre quarante et cinquante quintaux par hectare. Les vendanges sont récoltées à la main.

«La nature est en parfait équilibre, les vignes ont atteint un âge idéal et bénéficient de conditions optimales pour produire de bons vins.»

Gualtiero Ghezzi Propriétaire

Gualtiero Ghezzi arrête sa Landrover: une colline d’un peu plus de 300 mètres d’altitude abrite les vignes qui donnent naissance à son meilleur vin, le Brunello Riserva Gualto, dont il produit quelques milliers de bouteilles. Les feuilles de vigne sont d’un vert intense éclatant, les raisins prennent déjà des couleurs. Il inspire profondément et un large sourire vient illuminer son visage, au moment où son regard se pose sur le paisible paysage composé de champs, de forêts, d’oliveraies et de vignobles. Il déclare alors: «La vie suit son cours, tranquillement, comme il se doit. La nature se maintient en parfait équilibre, les vignes sont plantées au bon endroit et ont atteint un âge idéal. Les conditions sont optimales pour produire des vins d'excellente qualité.» Nous les dégustons dans l’ancienne cave, creusée dans les profondeurs du hameau de Camigliano. C’est là qu’avait jadis lieu la vinification. Aujourd'hui, la cave accueille les meilleures bouteilles du domaine ainsi que les dégustations. Un nouveau chai de production a été construit juste à côté en 2011, parfaitement intégré au paysage. Il permet de travailler en respectant le produit au maximum. Un Rosso compact et un Vermentino frais y voient le jour sous la férule de l’oenologue piémontais, Beppe Caviola. Sans oublier le Poderuccio, qui montre que le Merlot et le Cabernet ont tout à fait leur place à Montalcino. Toutefois, le Gualto et le Brunello Camigliano apparaisent comme de vrais vins de terroir: tous deux développent une aromatique épicée et une noblesse raffinée, témoins d’une interprétation réussie du Sangiovese du sud-ouest de Montalcino. Une réussite donc Gualtiero Ghezzi peut légitimement être fier.