Le service des grands Champagne

Comment devenir un amateur de champagne

Texte: Rolf Bichsel

L’amour du champagne n’est pas inné. Mais il est à la portée de tous. Le chemin passe par l’ouverture de quelques bouteilles. Après tout, une bouteille fermée ne peut pas plaire.

Comment suis-je devenu un spécialiste du champagne? Plus exactement, comment le Saul en moi est devenu du jour au lendemain l’apôtre Paul du champagne? C’est une longue histoire. J’étais aussi de cet avis stupide que le champagne était une boisson pour jeunes filles légères (ce qui voudrait dire que les jeunes filles légères auraient un meilleur nez que les jeunes garçons lourds, mais, il y a quelques décennies, cette logique échappait encore à mon cerveau embrumé de vin rouge).

Lorsqu’on m’a envoyé en champagne à la fin des années 1980 pour y étudier ce breuvage, ma réaction n’a pas été des plus enthousiastes. Je suis arrivé un jour d’hiver froid et brumeux à la gare d’Épernay, une ville morte à mes yeux (un restaurant potable, trois ou quatre bars, qui fermaient à 21h30), avant de faire le tour des vignobles le lendemain sous la bruine. J’ai passé plus d’une heure à déambuler à travers des lieux-dits grisonnants, ce qui n’a rien arrangé à mon humeur morose.

Commencez par la pratique

Si je bois aujourd’hui plus de champagne que de toute autre boisson confondue – café et eau de source compris – je le dois à un seul homme: le vigneron Alain Soutiran (un portrait de sa fille Valérie et de son gendre Patrick Renaux est présenté dans les pages suivantes). Il n’a pas cherché à démonter mes préjugés, ni à me faire entendre raison. Il m’a simplement emmené découvrir certains vignerons et maisons contenus dans ce numéro, m’a présenté avec patience la structure géographique et sociale de la région de Champagne, m’a expliqué comment naît cet effervescent et ce qu’il est avant toute chose: un grand vin, qui descend d’un terroir unique, un modèle d’équilibre entre nature, inspiration et industrie.
Je lui en serai reconnaissant à jamais. Il m’a démontré ce que je n’ai cessé depuis lors de répéter aux amateurs de vin en général et aux amateurs de champagne en particulier: oubliez la théorie, commencez par la pratique!

Détendez-vous et débouchez votre première bouteille, servez-vous un verre et saisissez-le. Ne laissez personne vous dire ce que vous devriez ressentir et recommencez l’exercice une douzaine de fois. Une escapade dans la région permet de mieux la comprendre. Le département de la Marne est divisé en trois entités distinctes: la Montagne de Reims qui renferme les meilleures parcelles de Pinot Noir; la Côte des Blancs, le fief du Chardonnay et la vallée de la Marne, où s’épanouit le plus important cépage de la région, le Pinot Meunier. Si vous en avez le temps, faites un crochet dans le Sézannais dans l’Aube, à Urville, chez Drappier, par exemple. Appréciez par vous-même la beauté de la région aux vignobles en partie escarpés, parsemés de taches blanches épurées, là où le sous-sol crayeux affleure sous une fine couche d’humus, travaillée dans un respect toujours plus grand de la nature.

Les bases

Ne vous précipitez par sur la visite des crayères de grandes maisons – certes impressionnantes – qui accueillent les touristes de tous horizons. Rendez-vous plutôt chez un véritable vigneron pour qu’il vous explique les étapes passionnantes de la vinification. Prenez note de quelques concepts fondamentaux, nécessaires à la compréhension du champagne: En premier lieu, les vendanges manuelles dans des caisses, pour emmener les grappes entières de raisin mûr jusqu’au pressoir. Puis, le pressurage en douceur permettant d’extraire le jus blanc des raisins noirs de Pinot Noir et de Meunier dans des pressoirs au volume défini afin de fractionner le moût – première et deuxième taille – correspondant au niveau de qualité prescrit. Ensuite, la première fermentation en cuve, en foudre ou en fût de chêne jusqu’à obtenir un vin blanc tranquille d’environ 11degrés d’alcool. Arrive ensuite l’assemblage visant à mélanger les vins de différentes origines avec habileté, lorsqu’il ne s’agit pas de cuvées parcellaires. Familiarisez-vous avec la différence entre les «bruts sans année» (BSA), complétés par des vins, dits «de réserve», de millésimes antérieurs, et les «millésimés», constitué exclusivement de vins d’une même vendange. Penchez-vous sur la «prise de mousse» qui permet au vin tranquille de fermenter en bouteille sous l’action des levures et du sucre, et d’acquérir ses bulles. Passons ensuite au stockage horizontal «sur lattes» nécessaire au vieillissement sur lies du champagne pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies dans certains cas. N’oublions pas le «remuage», qui consiste à redresser chaque bouteille afin de rassembler le dépôt de levure dans le col de la bouteille sous la capsule ou le bouchon provisoire, ni le «dégorgement» visant à expulser ce dépôt de la bouteille, avant d’être complétée par du Champagne et de procéder au «dosage» en ajoutant du sucre. Voici enfin les principaux dosages: brut nature (sans dosage), extra brut (moins de 6grammes de sucre par litre) et brut (entre 6 et 9grammes de sucre aujourd’hui, pour une quantité maximale autorisée de 12grammes).

C’est tout ce que vous devez savoir sur le plan technique. Tout le reste relève de la pratique. Vous constaterez la plupart du temps que les grands Champagne ne sont pas moins variés que les vins tranquilles. Cherchez les différences et non pas le vin musclé, car les «body-builders» sont rares en champagne. Si vous portez un intérêt particulier à la bulle, optez plutôt pour un Crémant abordable ou un simple Prosecco, au lieu de vous embêter avec un champagne bon marché triste et sans personnalité, qui vous détournera à coup sûr du droit chemin.

Ce qui distingue le champagne des autres vins effervescents

Les grands champagnes se distinguent des autres vins effervescents par leur acidité, leur racé, leur structure, leur minéralité et leur complexité aromatique. Choisissez le verre adapté pour le mettre en valeur. Les longues flûtes étroites sont peut-être jolies, mais elles ne facilitent pas la dégustation. Si vous ne souhaitez pas acheter de verres spécifiques, prenez une tulipe de Bordeaux. Nous possédons une petite douzaine de flûtes à champagne différentes, mais nous dégustons toujours ce vin dans un verre aux épaules très larges qui se rétrécit vers le haut, conçu en réalité pour les grands vins rouges rhodaniens!

Si vous souhaitez comparer plusieurs Champagne entre eux, limitez-vous à trois ou quatre cuvées. Nous dégustons chaque année des centaines de ces effervescents, mais rarement plus de six par session. Le Champagne est très sensible à la lumière. Conservez vos bouteilles allongées dans l’obscurité, comme n’importe quel autre vin. Et n’ayez pas peur de laisser mûrir les meilleures représentants de l’appellation dans votre cave. Une habitude pour moi depuis des dizaines d’années. J’ouvre régulièrement des cuvées qui affichent de quatre à vingt ans de garde. Je n’ai connu qu’un seul échec.

Pas trop longtemps au frigo

Ne laissez pas votre champagne pendant des semaines au réfrigérateur. Cela ne lui sied guère. Si vous êtes pressé, placez-le quinze minutes au congélateur ou utilisez un refroidisseur. J’ai quelques seaux à glace chez moi. Je ne m’en sers jamais. Je dépose la bouteille sur la table, je l’ouvre (je localise la ceinture, je tire dessus et, avec un peu de chance, je parviens à retirer le muselet sans me casser d’ongle), j’extrais le bouchon en exerçant une légère pression du pouce et je le retiens en enveloppant le col de la bouteille de la paume de ma main, je contrôle la température (entre 8 et 10 degrés dans l’idéal, mais plus frais c’est encore mieux pour ne pas avoir à se presser pour le servir), je sers une tournée et je replace la bouteille au réfrigérateur si elle n’est pas terminée. En cas d’urgence, j’utilise à nouveau le refroidisseur.

Comment servir le champagne

Pour le service à proprement parler, je tiens le pied du verre entre l’index et le pouce, je l’incline à 45 degrés environ et je fais couler le vin le long de la paroi du verre afin de ne pas me retrouver avec la moitié du verre rempli de mousse. Je ne tiens pas la bouteille par le col comme une massue, je la maintiens d’une main et je place l’index de mon autre main dans le creux de la bouteille et les autres doigts tout autour. Avec un peu d’exercice, c’est un jeu d’enfant. Je bois du champagne – en magnum de préférence – en toutes occasions: en petits comité, au coin du feu, avant comme après le repas et sur tout type de plats. Le champagne est une fête!