Andorre

Nouvel Olympe viticole

Texte: Alexandre Truffer

Au cœur des Pyrénées, quelques familles de passionnés choient des terrasses où Cornalin, Gewürztraminer et Syrah se côtoient à plus de 1000 mètres d’altitude. Bienvenue dans le pays viticole le plus discret d’Europe: la coprincipauté d’Andorre.

En 1992, Michel Martzluff et Sergi Mas de l’Institut d’Etudes Andorranes rédigent «Pressoirs et vignes d’Andorre», dans lequel ils détaillent l’histoire morcelée de ce vignoble millénaire, constatent la présence de nombreuses reliques liées à la culture de Vitis Vitifera (noms de lieux, pierres taillées caractéristiques de pressoirs médiévaux) et recensent quelques treilles accrochées à des murs en pierres sèches. Les deux scientifiques considèrent alors la viticulture comme une activité agricole disparue. Pourtant, cela fait cinq ans que des cultivateurs de tabac ont planté de la vigne à plus de 1000 mètres d’altitude près de la maison familiale.

Casa Beal et les origines

«En 1987, nous avons décidé de mettre un terme à la monoculture du tabac, explique Joan Visa Tor. Un document trouvé dans les archives familiales faisait état d’une vigne achetée près d’une chapelle. Nous avons commencé à cultiver diverses variétés.» Après des années d’études du climat, du terrain et de la faisabilité du projet, ce pionnier plante un hectare de Gewürztraminer en 2004. Deux ans plus tard, il récolte sa première vendange et agrandit son vignoble d’un demi-hectare. «Situé au sud des Pyrénées, Andorre bénéficie d’un ensoleillement conséquent, mais son altitude moyenne ne nous permet pas de planter les variétés traditionnelles de la Catalogne ou du sud de la France. Pour obtenir des résultats intéressants à cette altitude et dans ce climat, il fallait se tourner vers des cépages de régions plutôt froides que nous avons plantés dans des parcelles idéalement exposées», poursuit Joan Visa Tor. En visitant le domaine Casa Beal, je suis d’abord frappé par les magnifiques terrasses sur lesquelles sont alignées des vignes tirées au cordeau. Soudain, une cavité ovale attire mon attention. Remplie de pieux et d’outils, elle est présentée par le maître des lieux comme «un abri bâti par les ouvriers». Une simple guérite, comme il en existe des dizaines en Valais ou à Lavaux? Peut-être, sauf que celles que j’ai vues jusqu’ici n’arborent pas de voûtes en berceau et ne se situent pas en plein milieu d’un mur en pierres sèches de cinq mètres de haut et de quarante mètres de long. Aucun doute, le vignoble d’Andorre a encore quelques secrets à dévoiler. Certains pourraient même s’éclaircir assez rapidement puisque plusieurs ceps centenaires disséminés dans les terrasses de la propriété sont en train de subir des analyses ADN. Ces survivants, qui donnent des raisins rouges, permettront-ils de découvrir des variétés autochtones? C’est ce qu’espère Joan Visa Tor, mais en attendant, le propriétaire de Casa Beal réfléchit au rouge (une spécialité helvétique fait d’ailleurs partie des postulants) qu’il veut planter dans un avenir assez proche. En effet, si la cave a été pionnière à Andorre en élaborant un vin blanc ou en remportant une récompense internationale prestigieuse (grande médaille d’or à l’International Wine Guide 2014 pour le Cim de Cel 2012), son succès a vite engendré des vocations.

Casa Auvynia: les chercheurs vignerons

«A la base, notre projet devait rester au stade de l’expérimentation, nous ne pensions pas devenir une entreprise commerciale», explique Etienne Tor Armengol. En compagnie de sa sœur historienne, Cristina, de sa femme ingénieure agronome, Elena, et de l’œnologue Martí Margrinyà Poblet, celui-ci cultive 1,5 hectare de vignes qui donnent naissance à quelques trois milles bouteilles.

«Pour obtenir des résultats intéressants à cette altitude et dans ce climat, il fallait choisir des cépages de régions froides que nous avons plantés dans des parcelles idéalement situées.»

Joan Visa Tor vigneron à Andorre

«Lorsque nous avons commencé à réaliser nos premiers essais, nous étions conscients, grâce à Casa Beal, qu’il était possible d’élaborer des blancs de qualité à Andorre, mais personne ne savait si on pouvait réussir un vin rouge qui tienne la route», poursuit cet ingénieur forestier reconverti en vigneron. La cave s’est concentrée sur des cépages classiques, peu caractéristiques des vignes de montagne, comme le Pinot Noir et la Syrah. En parallèle, le quatuor a aussi planté du blanc: Viognier, Pinot Gris et Alvarinho. Aujourd’hui, Casa Auvinya commercialise trois vins. A côté de l’Imagine, un assemblage blanc expressif où se marient les trois variétés du domaine, Casa Auvinya propose deux monocépages Evolució Syrah et Evolució Pinot Noir. Si le premier semble chercher encore un peu ses marques, le second, tout en finesse, joue dans un registre assez subtil. Cette cuvée née sur des pentes atteignant parfois 60% fait d’ailleurs la fierté de ses concepteurs qui le présentent régulièrement au Mondial des Pinots de Sierre.

Andorre: deuxième pays du Cornalin

Quand on crée un vignoble dans un pays qui a perdu toute tradition viticole depuis un siècle, il n’y a ni habitudes, ni réglementation qui pèse sur le choix des cépages. A Borda Sabaté, Joan Albert Farré, a planté deux hectares de Riesling et récolté son premier millésime en 2009. Avec 4000 bouteilles commercialisées par an, son Escol, typé et expressif, peut revendiquer la place de premier vin andorran en volume. Deux ans plus tard, il récolte ses premiers raisins rouges qui donneront naissance au Torb, un assemblage de Cornalin, de Merlot et de Syrah. Joan Albert qui connaît bien la Suisse, a importé du Valais des greffons de cette variété montagnarde. «Le cépage n’est pas simple à cultiver et les rendements très faibles», reconnaît l’œnologue conseil du domaine, Alain Graillot. «De toutes façons, à Borda Sabaté, rien n’est simple», rigole cette sommité de Crozes-Hermitage qui chapeaute des domaines en Europe et en Australie. Douze terrasses étagées entre 1 100 et 1 190 mètres d’altitude, un vignoble accessible par une route non goudronnée, un climat changeant qui peut donner des averses torrentielles et l’ambition de créer des vins haut de gamme, sans oublier une volonté de travailler en bio: en effet l’équation demande un certain talent. «En 2010, les conditions météorologiques ne nous ont pas permis d’atteindre la qualité désirée, précise Joan Albert Farré, nous n’avons donc pas fait de vin».

Le premier effervescent d’Andorre

Celler Mas Berenguer est la quatrième cave du pays. Dans cette ferme familiale, la vigne a toujours fait partie des cultures vivrières. Pourtant ce n’est qu’en 2011 que Carles Verdaguer a commercialisé son premier millésime. Aidé de sa fille Davinia, il cultive un hectare de Chardonnay et 3 000 mètres de Pinot Noir. Pour l’heure, le domaine ne produit qu’un seul vin: le Trancat de Rocafort, un Chardonnay - assaisonné de 2% de Sauvignon Blanc –qui passe cinq mois en fût de chêne. Pourtant, lors de notre visite, le producteur faisait aussi déguster une bouteille sans étiquette. «Il s’agit d’un Blanc de Blancs qui a passé 20 mois sur lattes», explique Carles Verdaguer qui ajoute «on le présente sur notre stand, mais il ne sera commercialisé que lorsqu’il aura été élevé pendant deux années complètes». Baptisé 902 DC, l’année de l’arrivée de la famille sur les terres qu’elle cultive encore aujourd’hui, cet effervescent devrait être rejoint dans les deux ans par un rosé à base de Pinot Noir.

Un futur radieux

Planter de la vigne en Andorre représente un défi conséquent. Il y a l’altitude, ce qui implique des risques de gel ainsi que de maturation insuffisante en cas de météo défavorable. Il y a la dissémination des vignobles, des petites entités de vignes au cœur d’hectares de forêt, qui attire des gourmets ailés ou à quatre pattes. Les sangliers sont repoussés à coup de barrières électriques et de carabine, les oiseaux contrés par des filets, mais les prélèvements de la faune contribuent à abaisser des rendements déjà faibles. Ce qui explique les prix très onéreux des vins d’Andorre (25 euros au minimum départ cave). Par bonheur, la bonne santé économique de la petite nation, et l’intérêt des geeks du vin pour les raretés œnologiques garantissent un futur sans nuages pour le plus récent vignoble d’Europe. Une fois que le temps des pionniers sera terminé et que les vignes seront solidement implantées dans les coteaux andorrans, les vignerons de la coprincipauté pourront s’atteler à un autre défi de taille: recréer le lien entre leurs crus d’altitude et un passé viticole millénaire aussi peu connu qu’intriguant.

Mille ans de mystères

Les premières mentions du vignoble d’Andorre remontent au début du 10e siècle. En 903 et 904, Sunifred, le comte d’Urgell, en Catalogne actuelle, acquiert deux vignes en Andorre. Jusqu’en 1265, une vingtaine de textes médiévaux mentionnent des ventes ou échanges de vignes. Si la relative abondance de textes dans ce petit territoire catalan apparaît surprenante, la disparition de toute référence concernant Vitis Vitifera pendant les deux siècles suivants l’est encore plus. Il faut en effet attendre le 16e siècle, pour que la vigne soit à nouveau mentionnée de façon régulière dans les archives de la coprincipauté avant de disparaître pour quatre siècles (à l’exception de deux actes notariés datés de 1648 et 1861) du pays. Petit âge glaciaire, épidémies de peste, crise économique, développement du négoce sont avancés, sans grande conviction, par les érudits pour tenter d’expliquer ces mystérieuses disparitions.

Aujourd’hui, avec ses sept hectares de vignoble et une production qui ne dépasse pas les 20 000 bouteilles, Andorre importe de France ou d’Espagne la quasi totalité des crus commercialisés sur son territoire. Pour découvrir les vins d’altitude de la coprincipauté, il faut se rendre sur place. Depuis deux ans, un salon de promotion organisé par le gouvernement, la Trobada de Microproductors de Vi (Réunion de Microproducteurs de Vin) se déroule en fin d’année à Sant Julià de Lloria. Cette manifestation est la seule à l’heure actuelle qui permette de déguster les vins des quatre caves andorranes. Elle offre en outre de comparer les cuvées locales à celles d’une trentaine de producteurs exclusifs originaires des deux côtés des Pyrénées.

Andorre, pays méconnu

Fondée par Charlemagne, cette nation minuscule a su conserver des traditions uniques au monde tout en devenant l’un des pays les plus modernes d’Europe.

 

Histoire
A la fin du 8e siècle, l’empereur Charlemagne crée la Marche hispanique, une vingtaine de comtés formant des états tampons entre le royaume franc et le califat de Cordoue. Parmi eux, les six paroisses d’Andorre constituent une entité géographique et culturelle dont les frontières n’ont pas été modifiées depuis 1 200 ans. Au 13e siècle, la suzeraineté d’Andorre est partagée entre deux seigneurs: l’évêque d’Urgell, en Catalogne actuelle, et le Comte de Foix, en France, qui reçoivent le titre de coprince. En 1419, les Andorrans reçoivent de leurs seigneurs l’autorisation de créer le Consell de la Terra (Conseil de la Terre), une assemblée représentative considérée comme l’un des premiers parlements d’Europe. Celui-ci fonctionnera jusque dans les années 1980 avant d’être remplacé par un Conseil Général. Bien qu’Andorre se soit doté d’une constitution en 1993 qui lui a permis d’être reconnu au niveau international, la petite nation a conservé son système politique unique au monde. Cette «principauté constitutionnelle dyarchique parlementaire unitaire» reconnaît toujours la souveraineté de ses deux coprinces: le président français, François Hollande, et l’évêque d’Urgell, Monseigneur Joan-Enric Vives i Sicillia.

 

Géographie
Dotée d’une superficie de 482 kilomètres carrés, Andorre affiche une altitude moyenne de 1996 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le point culminant du pays est le Coma Pedrosa (2942 mètres), tandis que le point le plus bas, à la frontière avec l’Espagne, se situe à 838 mètres d’altitude. Composé de forêts, de lacs d’altitude (plus de septante) et de toundra de montagne, le pays est longtemps resté faiblement peuplé. Estimée à 5000 habitants en 1900, sa population a explosé au 20e siècle, grâce à l’immigration. Aujourd’hui, sur les quelques 85000 résidents, moins d’un tiers sont de nationalité andorrane.

 

Climat
Le climat de la région est décrit comme de type méditerranéen de montagne qui se caractérise par des hivers froids, des étés relativement chauds et un fort ensoleillement (près de 300 jours de soleil par an). Températures et précipitations varient fortement en fonction de l’altitude et de l’orientation des vallées.

 

Economie
Seuls deux pourcents de la surface du pays se composent de terre agricole, principalement utilisée pour la culture du tabac et l’élevage. La majeure partie des ressources provient du tourisme, de l’activité bancaire et de l’hydroélectricité. En dehors des amateurs de neige et de nature, la plupart des visiteurs traversent la frontière pour se fournir en tabac, en alcool et en équipement électronique qui bénéficient d’un régime fiscal moins pesant qu’en France ou qu’en Espagne. Bien qu’utilisant l’euro, Andorre ne fait pas partie de l’Union Européenne. Le pays qui ne prélève pas d’impôt sur le revenu ou la fortune a mis en place une TVA de 4,5% depuis le début de l’année 2013. Avec un taux de chômage de moins de 3%, une espérance de vie de 83 ans et un PIB par habitant de près de 40000 US dollars, la coprincipauté se classe, lorsqu’elle n’en est pas oubliée, au sommet des statistiques mondiales.

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