Œnologues

Le goût du conseil

Texte: Alexandre Truffer

Thierry Ciampi - L’oenologue a un rôle d’accompagnement

Responsable de la vinification des domaines helvétiques du groupe Schenk, Thierry Ciampi supervise la vinification de huit à neuf millions de litres par an, répartis sur les vignobles de Vaud, Valais et Genève.

En quoi consiste votre travail d’œnologue?
L’œnologue a surtout un rôle d’accompagnement. Il faut surveiller les vins, mais nous devons aussi suivre la législation qui évolue très vite et impacte notre travail de manière importante. L’autre défi, c’est de parfois savoir ne rien faire. Avoir une bonne vendange est essentiel. Quant au matériel de pointe, même si ce n’est pas absolument indispensable, il aide à faire du bon travail et permet une certaine souplesse dans les années difficiles. Mais parfois, il faut savoir prendre une décision difficile, celle de ne pas intervenir alors que vos interlocuteurs demandent que l’on agisse immédiatement pour régler un problème.


Comment définiriez-vous votre style de vinification?
On est toujours beaucoup influencé par la politique de la maison pour laquelle on travaille. J’ai été formé par Alain Gruaz, mon prédécesseur, et j’ai conservé sa philosophie très peu interventionniste, surtout en ce qui concerne les produits œnologiques. Par contre, je suis avec attention les travaux de diplômes réalisés à Changins par exemple, car il y a beaucoup d’évolutions techniques. Le groupe se trouve quelque peu à cheval entre le traditionnel – l’entreprise vinifie beaucoup de Chasselas dans des domaines centenaires – et le moderne, avec un site de vinification à Rolle qui est à la pointe du progrès technologique. Mais je ne dirais pas que j’ai une patte particulière.


L’an passé, au Grand Prix du Vin Suisse, vous avez élaboré les trois Chasselas sur le podium alors qu’ils venaient de trois cantons différents. Comment ne pas y voir une signature Thierry Ciampi?
C’est vrai que j’aime beaucoup le Chasselas et que je suis en quelque sorte né dedans. Nous avons défi ni des protocoles de vinification pour le Chasselas que nous appliquons de manière identique pour un vin de Genève, du canton de Vaud ou du Valais. Visiblement, nous avons mis au point des processus corrects. Néanmoins tout dépend de la vendange que nous recevons, c’est pourquoi nous suivons le plus possible en aval les vignes que nous travaillons. Quant aux concours, c’est le meilleur moyen de savoir à quel niveau se situe une maison qui, comme la nôtre, vinifie beaucoup de Chasselas.


Ces protocoles de vinification sont-ils immuables ou changent-ils d’année en année?
La base ne change pas, mais nous adaptons nos méthodes en fonction du millésime. Dans une année très mûre comme 2015, par exemple, le défi sera de terminer la fermentation des sucres.

Philippe Corthay - Pour un vin, qualité rime avec équilibre

Très impliqué dans le label de qualité Terravin, cet œnologue-conseil actif dans toute la Suisse romande considère qu’un lien privilégié avec le producteur facilite l’élaboration de grands vins.

Que peut attendre concrètement un vigneron de son œnologue-conseil?
Il existe divers types de clients. Certains veulent uniquement un appui ponctuel. D’autres entendent modifier le profi l de leur vins. En général, j’interviens avant les vendanges pour aider les gens à ramasser les raisins lorsqu’ils ont atteint une maturité phénolique optimale pour le type de vin qu’ils recherchent. Ensuite j’accompagne toute la vinification depuis l’encavage jusqu’à la mise en bouteilles en proposant des protocoles de vinification , mais aussi en analysant par la dégustation les vins qui me sont confi és, afin de, si cela s’avère nécessaire, modifier certaines caractéristiques indésirables.

Quelles sont les évolutions majeures sur ces quarante dernières années?
Lorsque j’ai commencé à travailler, il y a avait deux types de Pinot Noir (Wädenswill et Oberlin) et deux de Gamay (Codaux et Arcenant). Aujourd’hui, il existe des dizaines de clones sur le marché pour chacun de ces cépages. De plus, le vignoble a vu arriver un grand nombre de nouvelles variétés. Cette multiplication de l’offre s’est accompagné d’une augmentation de l’exigence du marché par rapport à la qualité des vins.

Qu’est ce qu’un vin de qualité pour un œnologue?
Pour moi, il faut que l’expression aromatique au niveau du bouquet soit la plus intense possible, tout en respectant la typicité du cépage. En bouche, il faut de l’équilibre, c’est-à-dire un rapport harmonieux entre le volume, l’alcool, son acidité et sa structure.

Et comment atteindre cette harmonie?
Je n’imaginais pas qu’il y aurait une telle évolution au niveau du matériel. Les pressoirs pneumatiques qui ont remplacé les pressoirs continus ou à plateau d’antan comme la gestion fi ne des températures de fermentation ont permis un saut qualitatif. En outre, le développement de techniques nouvelles, parfois contestées par certains, comme l’hyper-oxygénation des moûts ou la micro-oxygénation des vins constituent des auxiliaires précieux dans certains millésimes. Ces améliorations vont de pair avec des évolutions plus problématiques, par exemple la multiplication des années chaudes qui donnent naissance à des vins à l’acidité plus faible, donc potentiellement plus sensibles à l’évolution. Enfin, s’il faut donner un secret, j’attache une grande importance au dévellopement d’une collaboration sincère et honnête avec le vigneron. L’expérience m’a montré que des relations conflictuelles ont imanquablement une influence négative sur la qualité des vins.

Fabio Penta - La vente de vin n’est pas notre travail

Avec Claude Jaccard et Hervé Delafoge, Fabio Penta est l’un des trois œnologues d’Œnologie à façon SA, entreprise de conseil et de travaux de vinification de Perroy qui élabore plusieurs millions de litres de vin en Suisse romande.

Quelle est la structure d’Œnologie à façon?
L’entreprise est divisée en trois entités. La première, PVE (Pressurage Vinification Embouteillage) est située dans les bâtiments à Perroy. Elle s’occupe de clients qui n’ont pas de cave et pour lesquels nous nous chargeons de tout. Les gens nous amènent la vendange en automne et viennent chercher les bouteilles en juin. La seconde, qui constitue le cœur de notre activité, est la partie service aux caves extérieures. Nous assurons un service de vinification à une septantaine de clients dans toute la Suisse romande. Certains d’entre eux nous donnent simplement les clés de la cave, d’autre ne recquièrent nos services que pour des activités bien particulières (collage, assemblage, mise en bouteille). La troisième est liée à un mandat de vinification pour une société alémanique qui achète des moûts, via des courtiers, à Genève et dans le canton de Vaud et que nous vinifions. Dans tous les cas, notre travail s’arrête à l’étiquetage. Nous ne commercialisons aucune bouteille, ce qui nous évite d’entrer en concurrence avec nos clients.

Etes-vous aussi une société de vente de produits œnologiques?
Nous vendons également des produits œnologiques. Toutefois, à la différence de certains laboratoires français ou italiens, nous ne possèdons pas notre propre marque. Proposer les produits de vinification avec lesquels nous travaillons fait partie d’un service. La diversité de notre activité nous permet d’avoir une vision d’ensemble des intrants disponibles sur les marchés et de leur efficacité. Nous pouvons d’ailleurs aussi fournir des bouteilles, des capsules ou des bouchons à nos clients qui en feraient la demande.

Existe-t-il une forte concurrence de société de conseil étrangères?
J’ai vu que certaines entreprises italiennes cherchaient à se développer en Suisse. Par contre, elles ne sont pas équipées pour répondre aux spécificités du marché local suisse (bouchage par capsule à vis par exemple). D’un autre côté, des consultants français ont commencé à travailler dans le vignoble helvétique. Mais, là encore, il s’agit d’un phénomène minoritaire, car ils facturent leur travail aux tarifs bordelais ou bourguignons, qui n’ont rien à voir avec les prix suisses.

Et vous, avez-vous des vues sur le marché français ou italien?
A cause des formalités de douane, chaque fois qu’une machine traverse la frontière, il faut compter une demi-journée à une journée de formalité à l’aller comme au retour.
Ce n’est pas vraiment intéressant.

Philippe Métral - 90% de mes clients veulent du conseil

Créé il y a près de trente ans, le laboratoire PM Œnologie de Philippe Métral propose analyses, conseils de vinification et produits œnologiques à des clients de toute taille répartis entre Naters et Vouvry.

Quelles sont les demandes des vignerons qui contactent votre laboratoire?
Le laboratoire existe depuis 28 ans. Durant ce laps de temps, les choses ont beaucoup changé. Le matériel et les produits œnologiques deviennent toujours plus performants. Le goût du consommateur a lui aussi évolué pour devenir beaucoup plus averti. Ce qui implique que le conseil en relation avec la vinification devient une part toujours croissante de mon activité. J’ai deux types de clients: des privés qui vinifient des cuvées destinées à la famille et aux amis, et des professionnels. Le privé n’a pas besoin de bêtes de concours, il veut juste réussir un vin qui lui plaise.

Et les professionnels?
Là aussi, deux profils cohabitent. Tout d’abord, le petit propriétaire-encaveur qui a pour objectif de fidéliser sa clientèle avec un style de vin qui lui convient, à lui. Ensuite, les enterprises, de taille moyenne à grande, qui doivent sortir une gamme de produits correspondant à la demande. En clair, l’analyse reste une partie importante de mon travail, mais près de 90% de mes clients veulent aussi du conseil.

Les cépages autochtones du Valais demandent-ils des compétences de vinification spécifiques?
La base reste toujours identique. La vinification est la transformation du sucre en alcool par des levures. Certaines de celles-ci sont présentées comme spécifiques à un cépage, le Chardonnay ou la Petite Arvine par exemple. Mais c’est surtout un argument commercial des vendeurs de levures. Nous avons fait des tests avec des souches «basiques» et bon marché qui ont donné des résultats exceptionnels, parfois couronnés par des grandes médailles dans des concours. Enfin, les autres produits œnologiques permettent parfois de rectifier des erreurs de vinification. Toutes les parcelles n’ont pas été plantées avec les variétés les plus adaptées et lorsque l’adéquation avec le sol n’est pas idéale, les interventions durant la vinification deviennent indispensables.

Ce qui laisse entendre que beaucoup de clients vous contactent lorsqu’ils ont un problème?
Les vignerons aiment bien maîtriser les choses et viennent plutôt nous voir lorsque le problème est déjà là. Ce n’est pas facile d’admettre que l’on a peut-être fait une petite erreur à la vigne. En général, ils préfèrent lancer une vinification et nous demander de l’aide lorsqu’ils se retrouvent dans une impasse. C’est dommage, car il s’avère beaucoup plus facile, et plus efficace, de travailler sur le moût que sur le vin fini.

vinum+

Continuer la lecture?

Cet article est exclusivement
destiné à nos abonnés.

J'ai déjà un abonnement
VINUM.

Je souhaite bénéficier des avantages exclusifs.