Œnotourisme

Le pays des merveilles?

 Texte: Alexandre Truffer

  • Le Clos des Abbayes de la Ville de Lausanne: un joyau du Dézaley rarement ouvert au grand public.

L’œnotourisme fait partie de ces mots magiques invoqués pour régler tous les problèmes des vignerons. Le prix du raissin baisse? Faites de l’œnotourisme! Les douanes encouragent le tourisme d’achat? Développez l’œnotourisme! La demande ne parvient plus équilibrer l’offre? Renforcez l’œnotourisme! Mais le remède est-il efficace? 

En 2012, lors de la rédaction de la préface d’«Œnotourisme en Suisse romande», le premier et dernier guide consacré au sujet j’écrivais: «Aujourd’hui, le vin n’est plus une boisson, mais un produit culturel doté d’une identité forte et créé par des professionnels passionnés. Cette dimension intangible n’est que difficilement transmissible par les informations d’une étiquette ou d’un prospectus. Pour comprendre la philosophie et les enjeux qui sous-tendent ses flacons préférés rien ne vaut pour l’amateur une plongée dans le vignoble qui les a vus naître.» C’était l’époque de l’euphorie. A l’image des vignobles californiens, alsaciens, argentins ou sud-africains, celle nouvelle tendance allait attirer des hordes d’amateurs de spécialités et de nouveau clients dans les bars branchés qui devaient fleurir sur les coteaux surplombant le Rhône et le Léman. Il y a moins d’un mois, invité  à donner une conférence à un public de professionnels sur le sujet par le Musée Valaisan de la Vigne et du Vin, j’expliquais à un auditoire un peu surpris: «Avant de vous lancer dans l’œnotourisme, il importe de vous poser certaines questions essentielles: l’œnotourisme est-il nécessaire, est-il utile, est-il rentable et doit-il être subventionné? Attention, la réponse est souvent négative!» Cette prudence a désormais gagné les plus enthousiastes. 

Des grands à la peine

«Je commence souvent par expliquer que l’œnotourisme ne sauvera pas le vignoble, mais offre des opportunités à ceux qui en font le choix», confie Yann Stucki. Le préambule peut surprendre de la part du «Monsieur Œnotourisme» du canton de Vaud qui dispose d’un budget conséquent pour promouvoir le tourisme viticole. Après tout, sur le papier, la région lémanique dispose de tous les atouts: des paysages sublimes, des lieux d’accueils majestueux, une région classée au patrimoine mondial de l’Humanité, la présence d’une clientèle étrangère fortunée et des vins offrant des rapports qualité-prix excellents. Il n’empêche que les projets les plus ambitieux n’ont pas obtenu le succès escompté. L’Association pour la Route du Vignoble Dynamisée de La Côte a rendu son dernier soupir fin 2015. La Maison des Vins de La Côte est en projet depuis 2011. Quant au Vinorama de Rivaz, il s’est séparé abruptement de Sandra Joye, qui a été l’âme de ce centre de dégustation pendant sept ans, en automne 2016.

Des petits en verve

A l’inverse, des initiatives individuelles ont germé qui semblent voguer sereinement sur les flots agités de la commercialisation de vin. Le Domaine Bovy à Chexbres – qui reçoit quelques 10 000 visiteurs par an dont près de la moitié viennent d’Asie – fait figure d’exemple. La Cave Beetschen à Bursins, dont l’Œnothèque Bar Lounge affiche salle comble tous les jeudis et vendredis soir, ou l’Abbaye de Salaz à Ollon, où les événements drainent un large public, comptent aussi au nombre des réussites de l’œnotourisme vaudois. En Valais, les espaces de dégustation polysensorielle de Philippe Varone, le complexe hôtelier de la Régence Balavaud, la Cave de l’Année 2016, ou les chambres d’hôtes de la Colline de Daval, près de Sierre, sont aussi des exemples à suivre. Dans les autres cantons, l‘offre reste limitée et l’accent est mis sur des événements comme les caves ouvertes, les balades gourmandes ou les fêtes des vendanges. 

Pas de modèle existant

«En Suisse, la construction d’une destination œnotouristique est une innovation absolue», explique Yann Stucki. S’il existe plusieurs régions viticoles qui ont capitalisé sur le tourisme, les modèles ne sont pas forcément exportables. Bordeaux, Bourgogne ou la Toscane possèdent des vignobles connus de tous, y compris des gens qui n’ont pas d’intérêt pour le vin. A l’inverse, la Suisse, malgré sa notoriété pour ses montres, ses montagnes, ses banques et son chocolat, reste un pays viticole méconnu. Le parallèle avec des régions du Nouveau-Monde dans lesquelles l’œnotourisme a explosé ces dernières décennies ne convainc pas non plus. Tout d’abord parce qu’à part un «wine tour», des villes comme Mendoza en Argentine ou Franschoek, en Afrique du Sud, ne proposent pas grand-chose au visiteur de passage. Ensuite, parce que le prix de l’immobilier et surtout les salaires versés n’ont strictement rien de commun avec les conditions-cadres helvétiques. Enfin parce que l’œnotourisme y est considéré comme une activité à encourager. Les barrières que les législations cantonales imposent parfois dans notre pays montrent que cette opinion n’a rien d’unanime. L’an passé, un article de 24Heures détaillait les restrictions faite aux vignerons qui auraient voulu transformer leurs capites, les cabanes à outils dispersées dans les vignes en terrasses, en espaces de dégustation: «Les capites ne pourront être ouvertes qu’entre avril et octobre, et jusqu’à 22 heures au plus tard. On y servira uniquement des vins issus du domaine, ainsi que trois boissons sans alcool issues de la production régionale à un prix inférieur au verre de vin. Seuls les bricelets, flûtes ou fruits du domaine non préparés seront tolérés.» A ce compte-là, on ne peut qu’admirer la tenacité et la persévérances des professionnels qui persévèrent dans le développement de projets innovants. 

La piste urbaine

Au moment de faire le constat de l’œnotourisme romand, on s’aperçoit que les villages et les régions viticoles présentent une offre plutôt attrayante. Mais qu’en est-il des villes? «On oublie parfois que Lausanne se situe en plein cœur du vignoble vaudois. Il n’y a que quelques kilomètres à faire pour se retrouver dans une parcelle de Chasselas de Lavaux ou de La Côte, rappelle Yann Stucki. De plus, le tourisme d’affaire prospère à Lausanne. Pour ces visiteurs très mobiles, se déplacer de cinquante kilomètres pour une dégustation n’a rien de rébarbatif.» A côté du team-building pour expatriés et des bars à vins des quartiers branchés, les localités romandes cachent des petits trésors inconnus du grand public. Jusqu’aux années 1990, l’apéritif faisait partie des rituels de la vie associative et politique. Ainsi, lorsque les municipalités rénovaient les locaux utilisés par l’administration, elles oubliaient rarement d’inclure dans leur parc immobilier un, ou plusieurs, carnotzets. Certains ne permettent d’accueillir que les quelques employés du service utilisant le bâtiment, d’autres servent occasionnellement à l’accueil des ci-toyens, quelques-uns sont à l’usage exclusif des élus. Avec l’évolution des habitudes, la plupart de ces endroits témoins d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître sont tombés en déshérence et ne servent qu’en de rares occasions. Il ne manque qu’un peu de bonne volonté politique pour que ces lieux mystérieux connaissent une seconde jeunesse et deviennent les fers de lance de l’œnotourisme romand.

Entretien avec Yann Stucki

«Une question d’état d’esprit»

Professionnel du tourisme, Yann Stucki a travaillé pour des destinations prestigieuses comme Crans-Montana et Montreux Riviera. Depuis 2013, il est le «Monsieur Œnotourisme» du Canton de Vaud, un poste à la croisée des mondes viticoles, touristiques, économiques et politiques.

Pourquoi le Canton de Vaud a-t-il créé un poste de «Monsieur Œnotourisme»?
Il s’agit d’une volonté politique consécutive à une interpellation du député UDC Pierre-Yves Rappaz relative au soutien que l’état peut apporter à la viticulture. Etant donné que, comme la viticulture, le tourisme était une branche affectée par le franc fort et le tourisme d’achat, le département de l’économie et du sport a proposé de mettre l’accent sur l’œnotourisme. Le parlement a ensuite validé le projet en avril 2014. Ce processus a l’avantage d’englober la politique ainsi que tous les étages nécessaires à la construction d’une destination touristique.

 

Quel est votre budget?
Le financement public est de deux millions et demi de frans pour cinq ans assorti d’une exigence de cofinancement de la branche. Ce qui revient à un budget total de cinq millions.

 

Ce budget sera-t-il renouvelé?
La construction d’une destination ne se fait pas en cinq ans. Le projet a pour but de lancer la dynamique. Il ne s’agit pas de faire du marketing bling-bling, mais de consolider les fondamentaux d’une destination. Le budget ne sera sans doute pas reconduit de la même manière, mais nous travaillons sur plusieurs scénarios – un partenariat public-privé par exemple – capables de pérenniser le travail entrepris.

 

Qu’est ce que l’œnotourisme?
Outre une définition académique qui se résume à «découvrir ce qu’il y a derrière le vin», l’œnotourisme implique, pour nous qui sommes aux balbutiements de ce processus, une opportunité de reconsidérer le travail de vigneron ou d’hôtelier en intégrant des nouvelles possibilités de rémunération. La question de la valorisation du temps investi par le vigneron – lors de dégustations par exemple – représente l’un des éléments centraux de notre réflexion.

 

Avez-vous un exemple concret?
Certains producteurs proposent des immer-sions durant les vendanges. Non seulement, la prestation n’est pas payante, mais les vignerons offrent quelques bouteilles aux visiteurs venus leur donner «un coup de main». Dans d’autres pays, on considère cela comme des «expériences» que l’on facture une centaine d’euros au client. Nous estimons que le vigneron qui passe deux heures à la cave doit être rémunéré pour sa prestation, ce que ne permet pas un forfait de dix ou quinze francs par visiteur.

 

Qui sont les «œnotouristes»?
Nous n’avons pas assez de chiffres pour définir notre visiteur type. Seul certitude, il est alémanique. Les campagnes de l’Office des Vins Vaudois et de l’Office du Tourisme Vaudois montrent un fort intérêt des touristes indigènes. En quelques années, la proportion de touristes helvétiques dans le canton de Vaud à passé de 33% à plus de 45%. Aujourd‘hui, les Suisses constituent notre cible principale. Nous voulons faire de notre région la destination œnotouristique de référence au plan national. Une fois ce but atteint, on pourra viser l’étranger.

 

Qui peut faire de l’œnotourisme?
C’est une question d‘état d’esprit et non de taille. Quiconque veut orienter son activité vers l’accueil enrichit notre offre œnotouristique.

 

Cependant, le nombre de personnes qui visitent Saint-Saphorin, Bex, Montreux ou Mathod n’est pas tout à fait identique. Avez-vous défini des critères favorables à la création d’une activité d’accueil?
Dans le cadre de notre programme de certification, nous avons défini un cahier des charges qui liste les pré-requis nécessaires pour une exploitation viticole qui veut se lancer dans l’œnotourisme. Cela va de l’importance d’avoir un lieu d’accueil disposant de toilettes, à la mise à disposition de moyens de paiement par carte bancaire ou à la traduction du site internet en plusieurs langues, anglais et allemand au minimum. De façon plus globale on peut estimer que, 30% à 40% des vignerons du canton de Vaud pourraient à l’heure actuelle développer une activité œnotouristique affichant une bonne rentabilité.

 

A côté des initiatives individuelles qui pourraient être rentables, il existe des espaces participatifs subventionnés comme le Vinorama ou les musées du vin. Faut-il privilégier une approche par rapport à l’autre ?
A mon avis, les deux approches vont rester complémentaires. Des espaces comme le Vinorama sont à l’heure actuelle irremplaçables. Ils ont été créés pour fournir une prestation que les vignerons ne pouvaient par assurer de façon individuelle. Et ces espaces remplissent  à la satisfaction générale le rôle qui leur a été assigné. Il n’en demeure pas moins que beaucoup de clients demandent un contact direct avec le producteur. Lorsque plusieurs possibilités existent, ils privilégient souvent les visites de petits domaines pour avoir une expérience le plus authentique possible.

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