Interview de Nicolas Joss

750 000 francs pour les actions à l’étranger

Texte: Anick Goumaz, Photo: m.à.d.

À quel point l’image des vins suisses à l’étranger fait-elle partie des attributions de Swiss Wine Promotion (SWP)?

La convention qui nous lie à l’Interprofession de la vigne et des vins suisses stipule que nous sommes chargés de la promotion des vins suisses dans notre pays, ainsi qu’à l’étranger. Naturellement, le budget dédié aux actions hors de nos frontières reste moindre, et ceci pour deux raisons : d’abord parce que notre marché intérieur garde la priorité. La vente de vin indigène représente 35% de l’ensemble de la consommation dans notre pays. Alors que nous avons la capacité de couvrir presque 50% de la demande (240 à 250 millions de litres annuellement). Deuxièmement, la Suisse doit exporter ce qu’elle sait faire de mieux. Malheureusement, cela représente de petits volumes. C’est très bien! Parce que la microproduction colle à l’identité des vins suisses. De plus, ces vins restent à haute valeur ajoutée, car le producteur doit gagner à l’étranger au moins l’équivalent du revenu qu’il pourrait atteindre en Suisse. Sinon ça ne sert à rien d’exporter, parce que ça coûte très cher.

Pourriez-vous nous donner des exemples d’actions menées par SWP pour renforcer cette image à l’étranger?

En parallèle des événements de notre partenaire Présence Suisse, nos actions suivent deux schémas : les foires dans lesquelles nous accompagnons les producteurs en leur permettant de se présenter sous une identité nationale. Nous profitons simultanément des déplacements des vignerons pour mettre nos propres événements sur pied. Deuxième volet : ce qu’on appelle les «Swiss Wine Weeks». Durant une dizaine de jours, nous collaborons avec les importateurs d’abord pour renforcer la notoriété des vins déjà vendus sur le marché et parfois pour en introduire de nouveaux. Nous valorisons aussi les partenaires qui les commercialisent, afin de montrer un message d’unité autour des vins suisses. Nous avons créé la première édition en juin 2022 à New York. En discutant avec les importateurs, les consommateurs, les cavistes et les sommeliers, nous nous sommes rendu compte que les Etats-Unis font partie des marchés qui ont beaucoup évolué ces dernières années. Le vin suisse y a un potentiel, pour autant qu’il reste exclusif. Ça ne sert à rien d’y vendre un Chasselas à neuf dollars. Aucun impact. Par contre, un grand Chasselas, avec quelques années de maturité, qui développe ses arômes, ou un grand Pinot Noir de Suisse alémanique, trouveront leur clientèle. En matière d’actions menées, citons aussi notre présence pour la première fois au salon Wine Paris, deuxième salon européen dans le domaine. A cette occasion, nous organisons des événements satellites et avons édité une publication mettant en avant des anciens millésimes, avec leurs notes obtenues dans des revues internationales. Au-delà de sa faible notoriété à l’étranger, le vin suisse a un potentiel sur du vieillissement. La plupart des produits d’importation ne le font pas (à l’exception par exemple de la région bordelaise et de l’Allemagne). C’est un outil très fort au niveau de la perception du consommateur à l’international.

À la manière de Présence Suisse qui mesure l’image de la Suisse à l’étranger, existe-t-il des données sur l’image de nos vins hors de nos frontières?

Non. Et c’est normal que Présence Suisse n’ait pas de données, car ça ne fait pas longtemps que nous collaborons activement.

Peut-on parler d’un «positionnement» pour les vins suisses et, si oui, est-il le même sur le marché indigène et le marché étranger?

Je ne parle pas vraiment de positionnement, mais comme je le disais, le vieillissement représente un outil. Quand il s'agit de cépages tels que le Chasselas, très subtil, très fin, on remarque clairement qu’il se montre beaucoup plus accessible après quelques années aux yeux d’un consommateur lambda, international, plus habitué aux vins aromatiques, structurés ou barriqués. Nous devons encore plus utiliser l'outil du vieillissement. C’est le cas du Chasselas, mais aussi de la Petite Arvine, des Pinot Noir, des Merlot tessinois. Il y a un potentiel. Les anciens millésimes ne sont pas un positionnement, parce qu’il ne faut pas se limiter à ça. Mais il ne faut pas les oublier.

En parlant de cépages, pensez-vous que notre énorme variété représente une chance ou un frein pour la notoriété de nos produits?

Mon avis personnel est qu’il est très difficile de donner une image positive, qualitative, exclusive, d’un vin suisse issu d’un cépage international, parce qu’il se retrouve face à une concurrence mondiale. Vouloir un produit «compatible à l’international» ne prend pas le bon chemin. A l’inverse, l’authenticité d’un cépage indigène ou rare à l’étranger apporte une certaine identité à la Suisse. L’indigène revient à la mode. Il y en a énormément chez nous, mettons-les en avant. Je pense au Chasselas, à la Petite Arvine, à l’Humagne, au Cornalin en Valais, mais aussi au Gamaret, au Completer, au Rauschling et j’en passe. Quant aux assemblages, il est possible de les placer à l’international, à condition de bénéficier d’une image de marque. Sinon, autogoal. Parce qu’en face se dressent des mastodontes loin de notre philosophie, que nous ne pourrons jamais concurrencer. Notre mission, en Suisse comme en Europe, consiste également à valoriser les vinifications traditionnelles et les terroirs.

Cependant, certains de nos Pinot Noir bénéficient de la reconnaissance internationale de ce cépage pour «faire leur trou»…

Complètement d’accord au sujet du Pinot Noir. Parce que son image est noble et subtile. Merci la Bourgogne! Tout le monde sait dans le domaine du vin qu’il faut de la technique, tant à la vigne qu’à la cave, pour élaborer un Pinot Noir. Nos références suisses, notamment neuchâteloises, suisses alémaniques et quelques autres exemples romands d’exception méritent pleinement de «combattre les Bourguignons», si on peut dire, avec des tarifs inférieurs. Pour moi, le plus important reste que le vigneron fasse des vins qu’il aime.

De manière globale, pensez-vous que l’image de nos vins suisses à l’étranger fasse partie des défis importants pour la branche?

Les activités hors de nos frontières sont essentielles pour notre crédibilité face aux produits internationaux sur le marché suisse. Malheureusement, aujourd’hui, les restaurants suisses ne proposent pas une majorité de vins du pays. Pour exister et faire envie aux consommateurs, il faut une certaine notoriété, qui peut venir par la comparaison internationale. C’est même obligatoire. Pour renforcer nos présences sur les cartes et chez les cavistes, on a besoin d’aider des appellations à exporter, d’accompagner les vignerons dans les concours mondiaux. Par chance, le consortium Robert Parker s’intéresse vraiment aux vins suisses. Tout cela représente des outils essentiels face à la concurrence. Le problème ne réside pas dans la qualité, mais dans l’image.

Pour 2023, on parle d’une enveloppe de neuf millions de francs pour la promotion des ventes des vins suisses (contre 2,8 millions jusqu’à présent). Confirmez-vous cette augmentation?

L’augmentation budgétaire de 6,2 millions est confirmée. Le budget de la Confédération 2023 a été accepté par le Conseil National et par le Conseil des Etats. La motion passée à la commission des finances a été acceptée par les deux commissions et par les deux chambres. De ce fait, la Confédération nous a octroyé, pour l’année 2023, un budget de promotion de 9 millions pour les activités en Suisse et à l’étranger. Il y a bien sûr des restrictions, du moins des règlementations à respecter lorsqu’on utilise ces fonds. La première règle correspond au «1 franc pour 1 franc». Pour pouvoir sortir ces 9 millions, il faut que la filière et ses partenaires apportent le franc équivalent. Cela reste naturellement dans la promotion et la communication, non pas de commercialisation. Par exemple, en aucun cas SWP ne pourrait soutenir des rabais sur les ventes ni des actions bénéficiant à une seule marque. Cela étant dit, oui, nous avons réussi à faire comprendre au parlement suisse la nécessité de presque tripler nos moyens, afin d’attaquer le marché suisse en priorité, avec une image positive, qualitative, durable de nos vins, face à une concurrence étrangère de plus en plus forte. Précisons que cette dernière profite des aides financières de leur propre pays et de l’Union européenne pour les états membres.

Ce nouveau budget sera-t-il dédié uniquement aux ventes sur le marché suisse?

Sur les 9millions engagés, 8,25 millions concernent le marché suisse. Les actions de promotion à l’étranger bénéficieront directement de 750'000 francs, soit le double qu’en 2022 A ce montant peuvent s’ajouter d’autres activités financées par des fonds supplémentaires appelés «initiative d’ exportation», mais les enveloppes restent assez symboliques. Pour être utilisé, ce fonds requiert des demandes spécifiques, par marché. De mémoire, il s’agit de 2,7 millions, pour l’ensemble de la branche agricole.

Vous avez dit à nos confrères du Nouvelliste qu’il fallait «donner une image unie et crédible». N’est-ce pas un vœu pieu dans un pays aussi varié que la Suisse?

Unité ne veut pas dire produire tous les mêmes vins et les mêmes cépages! ça veut dire faire passer un message commun. Qu’on élabore un Chasselas dans le canton de Vaud, un Aligoté à Genève, une Petite Arvine en Valais, un Räuschling à Zurich, un Chardonnay en Argovie ou un Completer dans les Grisons : ce sont des vins blancs suisses! La Suisse apporte une diversité de cépages et de goûts selon les terroirs, les régions viticoles, mais avant tout ce sont des vins suisses. Et ce ne sont pas les vins genevois contre les vins valaisans ou les vins vaudois contre les vins tessinois. Ces combats appartiennent au siècle dernier. On doit toutes et tous vouloir boire du vin suisse. Je séjourne en Valais, je veux boire du vin suisse. Naturellement, dans 95% des cas ce sera du valaisan. C’est logique dans le cœur du vignoble et c’est ce que nous souhaitons d’ailleurs. Mais si on veut un peu d’exotisme pourquoi ne pas choisir en priorité un Räuschling de Zurich ou un Aligoté de Genève ? En réalité, pour vendre nos vins aujourd'hui dans l’ensemble de la Suisse et pas uniquement dans les régions viticoles latines plus attachées à nos produits, le message c’est de vendre suisse. Il est toujours plus simple de proposer à un Zurichois ou un Bâlois un produit suisse, que valaisan ou genevois. Soit par manque de notoriété ou par méconnaissance. C’est ça l’unité que je veux apporter: rendre les vignerons fiers de leurs produits suisses et pas seulement valaisans, vaudois ou genevois. Boire suisse, c’est ouvrir tout l’assortiment. Et quel catalogue incroyable!

Qui dit boire local, dit aussi boire durable… Est-ce l’avenir de l’image des vins suisses?

C’est fondamental dans la promotion et la production. On a déjà pris ce cap. Notre pays fait quand même partie des précurseurs. Je rappelle que le label Bio Suisse a été créé au début des années 80, qu’on a mis en place également dix ans plus tard un label durable, le Vinatura. Aujourd’hui, un nouveau projet de «vin suisse durable» est sur le métier pour apporter une norme nationale minimale sur les trois critères de durabilité. Bio, c’est bien. Mais, attention, il faut penser aux aspects économiques et sociaux. On ne peut pas juste parler d’écologie, sans prendre en compte les deux autres facteurs. Peut-être qu’on pourra se distinguer sur ce point par rapport à notre concurrence internationale. Parce qu’à l’inverse de nos collègues, nous sommes vraiment durables aujourd’hui dans notre production. Elle se vend selon un circuit court. Nous versons des salaires décents à nos employés vitivinicoles. Remercions les secteurs de recherche et développement. Elle propose des solutions pour réduire les produits phytosanitaires, voire les supprimer, selon les lieux, les terroirs et les philosophies des entreprises. Tant mieux! Je pense qu’il faut continuer dans ce sens, sans exclure la culture conventionnelle. Mais le consommateur évolue, donc le producteur va évoluer. Aujourd’hui, 97% de notre viticulture répond aux normes soit du bio, soit de la production intégrée. C’est exceptionnel  Peut-être que demain, 95% de la production suisse aura passé au bio. Tant mieux! ça montre bien que la viticulture suisse évolue, suit le marché. Elle n’est pas la seule, l’Europe et le monde entier le suivent aussi. Mais il faut expliquer que nous ne restons pas en retrait par rapport à nos homologues européens ou du Nouveau Monde. Bien au contraire, notre recherche agronomique est extrêmement forte. Pour la bonne raison qu’à l’inverse de certains collègues, nous présentons quelques difficultés à cultiver la vigne. Pluviométrie, ensoleillement, mais surtout maladies phytosanitaires de types mildiou et oïdium… Il faut vivre avec ça! Tous nos collègues en Europe et dans le monde n’ont pas ces problèmes, particulièrement dans les climats très chauds et secs. Ces défis font partie de la production suisse, mais le niveau de la recherche est incroyable. Beaucoup de producteurs aujourd’hui nous ont prouvé qu'il est possible d'élaborer des vins d’excellente qualité dans des normes durables.

Nul n’est prophète en son pays… Une image plus forte à l’étranger ne pourrait-elle pas renforcer l’attachement des Suisses pour leurs vins?

Complètement. Nous faisons exactement ça. L’intérêt international génère de l’intérêt national. Parler des vins suisses dans des lieux stratégiques, tels que New York, Londres, Paris, Berlin. Retrouver des articles sur nos vins dans des magazines de langue française, anglaise ou allemande. Les servir dans des lieux mythiques lors d’événements en lien avec Présence Suisse. Ça génère de l’intérêt pour les vins suisses sur le marché suisse. Nous en sommes convaincus. Nous utilisons l’exportation pour l’image et la notoriété.

vinum+

Continuer la lecture?

Cet article est exclusivement
destiné à nos abonnés.

J'ai déjà un abonnement
VINUM.

Je souhaite bénéficier des avantages exclusifs.