Ventes aux enchères

Prix marteaux et vins en action

Texte: Alexandre Truffer, Photos: Alex Teuscher

Entre raretés acquises à des prix astronomiques et fonds de cave vendus sur internet, les ventes aux enchères de vin font le grand écart. Dans ce dossier, nous avons tenté de comprendre un peu mieux comment fonctionne ce monde qui n’est pas réservé qu’aux initiés dotés d’un porte-monnaie inépuisable.

Début mai, les médias se sont fait l’écho de la mise en vente par la maison Christie’s d’un flacon de Château Pétrus revenu de l’espace. Cet OVNI faisait partie d’un lot de douze bouteilles du même vin envoyé sur la station spatiale internationale afin de comprendre l’influence de la gravité, et de son absence, sur un produit organique. Le prix espéré d’un million de dollars devrait en faire la bouteille de vin la plus chère du monde. À l’heure de l’écriture de cet article, le record est encore détenu par un flacon de Romanée-Conti 1945, qui a trouvé preneur pour 558 000 dollars en 2018, à New York. Si ces montants stratosphériques font la une des journaux, les ventes aux enchères de vin constituent un univers beaucoup plus complexe dans lequel les enchères entre particuliers sur internet côtoient les maisons de vente aux enchères qui sont alimentées, comme pour les autres biens qu’elles mettent en vente, par les trois D: décès, divorce et déménagement. Si, dans ce dossier, nous avons essentiellement mis l’accent sur des maisons prestigieuses, c’est parce que, au final, les ventes aux enchères intéressent surtout les collectionneurs. Les amateurs qui veulent simplement remplir leur cave de vins agréables à prix correct ont, de l’avis général, plutôt intérêt à rester fidèles aux canaux traditionnels de distribution: achat direct auprès du vigneron ou caviste de confiance. Et lorsque que l’on s’intéresse à ce qui importe le plus pour les collectionneurs ou les investisseurs, soit les faux et les défauts, les grandes maisons peuvent sans doute offrir les meilleures garanties. Attention, meilleures ne veut pas dire absolues. Ainsi, début avril 2021, Rudy Kurniawan le plus célèbre escroc du mondovino a été expulsé des États-Unis après avoir purgé une peine de dix ans de prison pour une fraude massive aux vins contrefaits. Celui qui était surnommé Docteur Conti est devenu célèbre pour avoir alimenté le marché des enchères de vins prestigieux aux États-Unis avec des anciens millésimes «bricolés » dans son garage pendant près d’une décennie occasionnant des préjudices estimés en dizaines de millions de dollars. Il n’empêche que, pour les amateurs de vieux millésimes et les œnophiles à la recherche d’un flacon spécifique, les ventes en enchères demeurent un incontournable. Par chance, la Suisse offre de nombreuses opportunités aux passionnés de salles des ventes. De plus, en sus des rendezvous plus ou moins prestigieux organisés par des maisons ayant pignon sur rue, les sites spécialisés (Ricardo, Ebay, Catawiki) offrent sept jours sur sept un flot ininterrompu de bouteilles de toutes les qualités et à tous les prix. Ce qui permet, si l’on arrive pas à se faire plaisir, de pouvoir au moins se faire envie.


Baghera Wines fait rugir Genève

En avril 2021, quelque 2000 flacons de la Romanée ont été vendus à Genève pour plus de 9 millions de francs. En décembre 2020, six mathusalems de la Romanée-Conti 1985 étaient vendus par la même maison pour 900 000 francs. Soit 264 000 francs de moins que le record de Baghera Wines, un lot de quinze magnums du Vosne-Romanée 1er Cru Cros-Parantoux du Domaine Henri Jayer acheté 1,164 million en 2018. Pour comprendre qui est cette jeune maison de vente aux enchères qui a propulsé Genève parmi les grands acteurs mondiaux des ventes aux enchères de vins rares, nous avons rencontré sa cofon datrice, Julie Carpentier.

Sur son site internet, Baghera Wines indique que: «Avec plus de 80 millions de chiffre d’affaires depuis notre création fin 2015, nous sommes devenus en trois ans leader européen des ventes aux enchères de vins d’exception devant nombre de maisons historiques. » L’entreprise qui a ouvert récemment un bureau d’experts à Hong Kong et une boutique à l’Hôtel Beau Rivage de Genève a été créée il y a six ans par Michael Ganne, Julie Carpentier et Emmanuel Mercé. Ce dernier qui a trouvé le nom de Baghera – un assemblage entre Bachus et la panthère noble et conquérante du «Livre de la Jungle» – a vogué vers d’autres défis tandis que les deux associés restant, tous deux anciens de chez Christie’s, ont «permis à Genève de redevenir un centre respecté des ventes aux enchères de vins d’exception». En 2018, ils réalisent un coup de maître en organisant la vente (pour 34,4 millions de francs) de la cave personnelle d’Henri Jayer, le mythique vigneron bourguignon. «Nous faisons du surmesure pour nos clients. En réalisant deux à trois ventes physiques par an, nous ne sommes pas obnubilés par des objectifs de rendement, précise Julie Carpentier.

Beaucoup de nos ventes sont centrées sur la Bourgogne parce que c’est sur cette appellation que la demande s’avère la plus forte aujourd’hui. Ce n’est pas un choix stratégique de notre part, bien que Michael et moi ayons une vraie passion pour cette région et une bonne connaissance de ses acteurs. Nous aimerions avoir plus de Bordeaux, de vins toscans ou de Champagne, mais les collectionneurs recherchent surtout les grands vins bourguignons et nos enchères sont le reflet de ce qui se passe dans le monde du vin». Si la maison se limite au très haut de gamme pour ses ventes physiques, Julie Carpentier indique que: «dans les ventes online, nous proposons une plus grande mixité de vins et de prix, notamment en couvrant plus de continents. Toujours est-il que le monde des grands collectionneurs de vin est un univers où les marques sont fortes, tout comme les personnalités vigneronnes. Il faut beaucoup de temps, et un charisme hors du commun, pour y entrer. De plus, lorsqu’un domaine a fait le choix de l’excellence, il revient rarement en arrière et ce, même s’il y a un changement de génération ou de responsable. Il y a donc peu de relégués.» Ainsi, il semble peu probable de voir des vins suisses faire leur entrée dans le catalogue de Baghera Wines dans un avenir proche. «Ce n’est ni une question de goût, ni de qualité, mais plutôt de volume disponible et de pédagogie», conclut cette française qui a contribué à replacer Genève au cœur du petit monde des ventes internationales de vins et de spiritueux de prestige.

www.bagherawines.com

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