Changins

75 ans de formation

Texte: Anick Goumaz; Photo: m.à.d.

«Une institution, trois écoles»: pour ses 75 ans en 2023, Changins va-t-elle changer son slogan et ajouter «…et bien plus que cela»? Une école du vin qui cartonne auprès du public et des pros de la sommellerie, des projets de recherche appliquée de pointe… Ces dix dernières années, elle a en effet bien enrichi son offre, en complement de sa formation supérieure. Des innovations lancées dans un contexte de crise pour la branche, tant en matière de ventes que de recrutement…

Quiconque s’intéresse de près ou de loin au vin suisse a déjà entendu parler de Changins. En revanche, peu savent vraiment tout ce qu’il s’y passe et toutes les possibilités qu’elle offre aux professionnels du vin – de la vigne au service, en passant par la cave – mais aussi au grand public. «En plus de notre mission principale qu’est l’enseignement, nous faisons également de la recherche appliquée et sommes au service de la profession», souligne Conrad Briguet, directeur de Changins depuis quinze ans. «Souvent, dans la tête des gens, Changins n’est qu’une école. Alors que nous faisons de la recherche depuis 20 ans.»Ces dernières années, le volume financier des projets de recherche appliquée bat des records. En 2021, sur un budget d’un peu plus de 8 millionsde francs, le volume des projets de recherche y contribuait à hauteur de 12%. Les recettes directement liées à la HES couvrent 80% des frais. Les subventions cantonales (1,175 million) ne représentent même pas 15% du financement. Et pourtant, le rayonnement qu’apporte Changins vaut son pesant d’or.Retournons un peu en arrière, plus précisément il y a 75 ans. En 1948, pas de Changins. C’est à Montagibert, site qui accueille aujourd’hui le CHUV de Lausanne, qu’une nouvelle fondation prend ses quartiers. Elle est née de la volonté des cantons romands, de Berne et du Tessin de mettre sur pied une formationsupérieure en viticulture, œnologie et arboriculture. Il a fallu attendre 1975 pour voir la station fédérale de recherche agronomique (Agroscope) et la fondation de formation déménager en même temps à Changins.À l’époque, Wädenswil, dans le canton de Zurich, abrite une «école sœur». Sur les deuxsites, les rentrées à l’école d’ingénieur ont lieu tous les deux ans. Lorsque, au milieu des années 90, les HES (hautes écoles spécialisées) apparaissent dans le paysage de la formation suisse, la Confédération décide de ne conserver que Changins comme filière de viticulture et d’œnologie. Depuis, elle reste l’unique haute école de Suisse pour les métiers de la vigneet du vin. Les années 2013 et 2014 marquentl’institution avec de grandes avancées comme la création de l’Observatoire suisse du marché des vins (OSMV) ainsi que l’ouverture, par l’école du vin, du brevet fédéral de sommellerie. Mais surtout, 2013 sera le coup d’envoi d’un master en «life sciences».

«Nous avons réussi àmettre sur pied le niveau master à Changins, en collaboration avec les HES suisses du domaine des sciences du vivant, life sciences», précise Conrad Briguet. «Il nous était impossible de créer un master tout seuls. Ça nécessite toute une infrastructure et surtout un minimum d’étudiants. Nous savions dès le depart que nous rencontrerions des difficultés à réunir des candidatures. Le recrutement doit se faire au niveau international. D’où notre association en 2020 avec Vinifera Euromaster, un consortium des grandes écoles de viticulture etœnologie de cinq pays européens. Les retombées se révèlent extrêmement positives. Notre rayonnement hors de nos frontières a monté d’un cran. Sans master, on ne peut pas placer une haute école sur la carte mondiale des formations.» Si le statut de Changins au sein de Vinifera Euromaster lui permettait jusqu’à present surtout d’envoyer des étudiants suisses à l’étranger, elle est en passe de devenir «full member», le sésame pour pouvoir former des candidats de toute l’Europe au bord du lac Léman. Le master n’est pas le seul diplôme à attire nos voisins. Les classes de bachelor peuvent être constituées jusqu’à 50% (la limite fixée) de jeunes Français, alors que Changins peine à séduire les Alémaniques. La langue représente bien sûr une des explications. Mais le bachelor de Changins vient aussi combler un manque dans la filière française.

«Une institution, trois écoles», peut-on lire sur le site internet de Changins. Trois écoles et bien plus que cela. C’est le message que veut aujourd’hui faire passer Conrad Briguet et son équipe de près de 50 personnes. Changins s’adresse bien sûr en premier lieu aux étudiants, mais elle ouvre les bras également aux organisations et aux privés. Ces derniers peuvent acheter l’une des neuf cuvées – production de 20 000 litres par année – réserver une visite et une dégustation et surtout parfaire leurs connaissances à l’école du vin, en place depuis 1999. Impressionnant, le programme va de l’initiation à la dégustation, en passant par l’étude des grandes régions productrices, jusqu’à la découverte du parfum et même l’élaboration de sa propre cuvée! Les différents modules voient défiler près de 400 personnes par an. Mais la cible qui intéresse particulièrement l’institution proche de Nyon, ce sont les professionnels et organismes de la branche. Pour eux, le site propose des analyses microbiologiques, chimiques ou sensorielles par le biais d’un panel formé. À cela s’ajoutent du consulting et même de la vinification à façon. Surtout, les fameux projets de recherche appliquée font rayonner le savoir-faire à la fois des experts et des étudiants. Parmi les sujets en cours, citons les recherches sur des portegreffes résistants à la sécheresse. Des découvertes d’un grand intérêt pour les principaux pays producteurs au monde.

Baumgartner Weinbau, Tegerfelden

De l’autre côté de la Sarine

Pas facile de trouver un domaine en Suisse alémanique où plusieurs générations ont suivi le cursus de Changins. Apparemment, avec la famille Teutsch de Schlossli Weingut, Baumgartner Weinbau est le seul. «J’ai intégré Changins en 1988», se souvient Lukas Baumgartner, aujourd’hui père de trois enfants. «À l’époque, Wädenswil dispensait des cours d’arboriculture et de viticulture. Je voulais étudier l’œnologie et Changins représentait la seule école dans notre pays.» Le voilà donc parti au bord du lac Léman, dans l’internat qui a depuis laisse la place aux bureaux des chercheurs. «Nous étions deux Suisses alémaniques avec deux Tessinois et des Valaisans. Il se passait toujours quelque chose. Les Valaisans préparaient de la fondue, les Tessinois du risotto…» Tout cela arose de vins bien sûr. «Les dégustations continuent le soir!» Au travers des récits de son fils, Michel, Lukas remarque que les choses ont changé. Plus d’Alémaniques poursuivaient leurs études quand ils pouvaient les suivre à Wädenswil. «Ça a changé, mais pas dans lebon sens», regrette-t-il. «Changins n’est pas bilingue, contrairement à l’école agricole à Zollikofen.» Dans la classe de Michel, ils ne sont que deux Alémaniques, tous les deux Argoviens. La moitié vient de France. «Ils nous appellent les deux Argoviens. Pour mes camarades français, la Suisse c’est la Romandie à l’ouest et l’Argovie à l’est», rit-il. Faussement détendu, Michel a de grandes ambitions pour la fin de son année. Champion aux Swiss Skills 2018, il espère être un des meilleurs de sa volée. Une pression familiale? «Mon papa me rappelle souvent qu’il faisait des bonnes notes à Changins.»

Le plein d’idées en Argovie

Lukas Baumgartner et ses enfants perpétuent l’activité familiale lancée par ses grands-parents. «Ils possédaient un petit vignoble, raconte-t-il. Mon papa s’en est occupé d’abord par passe-temps, avant de ne faire plus que ça.». Le domaine en tant que tel a été fondé en 1975 et le millésime 1983 est le premier que Lukas a vinifié avec son père. Parmi lesplus grands producteurs du canton, la famille cultive 13 ha disséminés dans cinq villages et autant de terroirs différents. Même s’ils veulentgarder leurs racines et que le Pinot Noir constitue la moitié de l’encépagement, les Baumgartner s’autorisent plusieurs folies, au gré de leurs voyages et expériences à l’étranger. Ainsi, après plusieurs vacances à Porto, ils ont chacun leur vin fortifié à leur nom. Inspiré par son séjour en Nouvelle-Zélande, Noel a créé le Pinotivo, un assemblage de Pinot Noir et de Diolinoir.

www.baumgartner-weinbau.ch

Ortelli Vini, Corteglia

De la fiduciaire à la viticulture

Mauro Ortelli a eu une vie avant le vin: une carrière dans la fiduciaire comme comptable. Il en parle sans perdre son sourire chaleureux, qui semble représenter un symbole familial. Lorsqu’il se prend de passion pour les vignes plantées par son père et son cousin, il décide d’étudier à Changins, mais doit avant cela passer par un stage pratique. Ce sera chez AlainNeyroud, à Chardonne, qui a formé de nombreux stagiaires tessinois. «J’ai reçu une liste de noms pour m’aider dans mes recherches et il y avait beaucoup d’étoiles à côté de celui d’Alain.» Et Lucio, le fils de Mauro, n’était-il pas séduit par le Chasselas de Chardonne? «Je ne voulais pas qu’il aille dans un petit domaine pour voir les mêmes choses qu’il avait ici. Il avait déjà beaucoup de connaissances. Je l’ai mis en contact avec l’œnologue de Schenk.» Pour Lucio, ce sera donc le Château de Châtagneréaz, puis la cave Schenk à Rolle et enfin le Cru de l’Hôpital dans le Vully qui précéderont à son cursus de bachelor, terminé à Changins en 2020. Cette année-là, la volée était particulièrement nombreuse avec 40 étudiants contre 36, la limite habituelle. Pour Lucio, le dépaysement s’est révélé moins important que pour Mauro. «En1984, l’école restait encore très axée sur les vins blancs et presque pas sur les vins rouges. Heureusement que Didier Joris nous donnait les cours d’œnologie.» Au Tessin, la relève peut obtenir son CFC à l’école cantonale d’agriculture. Pour aller plus loin sans quitter le pays, elle doit s’inscrire à Wädenswil ou à Changins, ce que de moins en moins de jeunes entreprennent. Ils se contentent du CFC. Mauro et sa femme Luigia ont pris leur retraite. Lucio gère maintenant officiellement Ortelli Vini, épaulé par toute la famille.

Du Chasselas dans le Mendrisiotto

Mauro Ortelli sortait tout juste de Changins lorsqu’il a fondé Ortelli Vini en 1985. Une histoire assez rare dans notre pays où on hérite souvent de son domaine. Il tient quand même à souligner que ce sont son père et son cousin qui ont planté les premiers ceps familiaux à Castel SanPietro. Aujourd’hui, Lucio, le fils de Mauro exploite plusieurs parcelles éparpillées dans toute la région du Mendrisiotto, soit presque six hectares. En production intégrée, il mise sur les «vins historiques», avec de nouvelles cuvées telles qu’un rosé et un mousseux. De son stage chez Alain Neyroud à Chardonne, qui a débouché sur une amitié durable, Mauro a gardé quelques pieds de Chasselas, assemblé dans le Corteglia d’Ortelli Vini, avec du Sauvignon, du Sémillon et un peu de Chardonnay.

www.ortellivini.com

Domaine Buisson-Charles, Meursault, Bourgogne

Étudier chez les voisins

«Au vu de la longue histoire du vin en France, je pensais que les écoles françaises de viticulture et œnologie étaient au top. C’était un peuune surprise pour moi de constater que Changins, en Suisse, mettait également la barre trèshaut. Je pense qu’aujourd’hui, quelqu’un qui sort de Changins est mieux valorisé sur le marché du travail qu’avec un DNO (Diplôme national d’œnologue. ndlr.) Même si cela depend aussi beaucoup de son expérience personnelle.» Le Bourguignon Louis Essa ne tarit pas d’éloges pour son cursus à la HES. Issu d’une longue lignée de vignerons, il n’était pourtant pas sûr du chemin à prendre lorsqu’il n’était encore qu’un adolescent. Il s’inscrit alors au lycée viticole de Beaune, qui lui permet de suivre des études secondaires générales, tout en mettant un premier pied dans le monde du vin. Son bac en poche, il choisit la voie familiale et enchaîne avec un BTS (brevet de technician supérieur) en viticulture et œnologie. Âgé de 19 ans, il préfère attendre quelques années avant de débuter sa carrière et souhaite devenir œnologue. «Les formations dispensées en France ne convenaient pas à mon projet. Notre DNO est adapté lorsqu’on part de rien. On y fait beaucoup de chimie en laboratoire. Pour moi qui vais reprendre le domaine familial, Changins représentait un meilleur compromis entrela vigne et le vin.» Avec un bon tiers de camaradesfrançais dans sa classe («ça m’a étonné»), Louis n’est pas dépaysé. D’autant plus que son père est né en Valais, où il a vécu avant de partir pour la Bourgogne, à 12 ans. «Qu’ils soient suisses ou français, j’ai rencontré certains de mes meilleurs amis à la HES.»

Troisième génération au cœur de la Côte d’Or

L’arbre généalogique de Louis Essa compte de nombreux vignerons de la prestigieuse appellation Meursault. Cependant, il doit son domaineen tant que tel à ses grandsparents,Michel Buisson et Andrée Charles. En 1955, alors âgé de 20 ans, son grand-père vinifie le premier millésime d’une surface de 5,4 ha concentrés à Meursault, mais aussi sur les appellations Pommard et Volnay. Une cinquantaine d’années plus tard, les parents de Louis, Catherine Buisson et Patrick Essa, reprennent l’affaire familiale. Passionné et désireux de travailler d’autres terroirs, M. Essa vinifie également du raisin acheté chez des amis d’appellations renommées, telles que Corton, Chambertin et Chablis. Aujourd’hui, le Domaine Buisson-Charles pratique la culture biologique. Avec 35 000 bouteilles par an, il applique le système d’allocations.

www.buisson-charles.com

Domaine Villard et Fils, Anières

Rester proche de la pratique

Première génération de Villard à avoir tourné le dos à la polyculture pour se concentrer sur la vigne, Pierre a décroché son diplôme de Montagibert – premier nom de l’école avant son déménagement à Changins – en 1954. Son fils, Philippe, a enchaîné Châteauneuf, en Valais, puis Changins en 1979 . Quant à Sébastien, la troisième génération, il vient d’être diplômé del’ES (École Supérieure), en 2021. La famille Villard porte donc un regard de connaisseur sur cette formation. D’autant plus que Philippe fait partie de son conseil professionnel consultatif. «Cette école reste très proche de la pratique. Elle consulte la profession afin de mieux s’orienter vers les besoins de la branche. C’est une petite institution qui arrive à s’adapter assez vite lorsqu’on relève des points d’amélioration.Elle est sur de bons rails, encore faut-il qu’elle reste attractive.» Le problème se pose notamment pour la filière ES, suivie par Sébastien. Le nombre d’inscriptions stagne. «Je suis aussi surpris de l’engouement suscité par la HES par rapport à l’ES», confie Sébastien. «La HES n’a pas l’air facile, ni adaptée pour un vigneron encaveur. Il y a une une grande divisionentre les filières ES et HES. Entre les élèves aussi, du coup. C’est dommage que Changins ne crée pas de pont entre nous. Mais la structure ne l’encourage pas, il n’y a pas vraiment de lieux de rencontre dans le bâtiment.» En parallèle à la vigne, Sébastien a étudié le piano au conservatoire. Pour suivre les deux cursus simultanément,il a fait ses stages pratiques à Anières plutôt qu’à l’étranger. Un regret? «Pas du tout. Mes amis partis à l’étranger travaillent dans de très grandes caves, sans beaucoup de responsabilités. Ça ne m’intéresse pas d’avoir un métier qui ne me demande pas de réfléchir.»

Vignerons et pépiniéristes

Les Villard représentent une très ancienne famille de la communed’Anières. Le grand-père de Philippe Villard produisait déjà du vin, mais en polyculture, comme cela se faisait à l’époque. Pierre, la deuxième génération, décide de se concentrer sur le vin et de tout gérer, de la vigne à la mise en bouteilles. Il lance également une activité de pépiniériste, en parallèle au domaine d’environ six hectares, une surface qui n’a jamais varié, les conditions topographiques ne le permettant pas. «Peut-êtreque je n’ai pas le tempérament d’entrepreneur avec une majuscule», raconte Philippe Villard. «Mais j’aifait vivre une famille de trois enfants et j’ai amené la diversification del’encépagement.» Sébastien, la nouvelle génération, a mené la reconversion à la viticulture biologique, un tournant en accord avec son idéologie proche de la nature.

www.vinsvillard.ch

Interview: «Nous sommes une haute école sans tabous»

Pourquoi la seule école suisse dispensant un bachelor et un master en viticulture et œnologie n’a-t-elle pas choisi une situation plus centrale?

À cause de la proximité physique que nous pouvons offrir à Changins avec les chercheurs d’Agroscope qui s’occupent de viticulture et d’œnologie. C’est une force énorme. Nous ne sommes pas une grande école. Toute seule,elle serait plus faible. Agroscope représente pour nous non seulement un bassin de professeurs, mais aussi des opportunités de partenariat pour nos projets. Nos laboratoires sont équipés de façon complémentaire. Nous utilisons la cave d’Agroscope, en location payante. Sans cette collaboration, notre cave didactique serait soit minuscule, soit inexistante, comme dans beaucoup d’écoles internationales. Et puis je pense que ça fait du bien aux étudiants de sortir de chez eux pour vivre une expérience à Changins.

Même en restant à Changins, l’école ne pourrait-elle pas s’ouvrir au bilinguisme?

La barrière de la langue est difficile à franchir pour les Alémaniques. Mais ce qu’il faut dire,c’est que depuis que je suis directeur, aucun Suisse alémanique n’a arrêté en cours de route ou échoué pour des questions de langue. Nous avons cependant un grand projet en cours sur notre positionnement, ainsi que sur l’attractivité de notre bachelor et notre master. Il va déboucher sur des décisions à prendre cette année. L’enseignement bilingue fait partie des réflexions.

Et quant au positionnement?

La question est: restons-nous une école uniquement centrée sur la viticulture et l’œnologie ou pas? Nous parlons des bières, des boissons distillées, des autres boissons fermentées de l’agriculture, etc. Aucune décision n’est prise, mais cet élargissement améliorerait notre attractivité.

Le nombre d’étudiants à l’école supérieure de technicien vitivinicole stagne depuis cinq ans. Comment rendre ces filières attractives?

La branche constate que la relève manque, à tous les niveaux. Pas seulement en ES, mais aussi en CFC et HES. Dans l’ensemble de la Suisse, 90 personnes sortent avec un CFC de viticulture chaque année. Ils ont la possibilité de faire un brevet, une maîtrise, l’ES et la HES. Alors qu’ils n’ont pas tous envie de continuer des études supérieures. Donc le bassin de recrutement reste modeste. Nous menons bien sûr des campagnes de recrutement, de concert avec la branche agricole. Pour l’avenir, nous misons sur les reconversions professionnelles, déjà assez nombreuses dans le cadre des CFC. Je peux comprendre que des jeunes de 15 ou 16 ans ne s’intéressent pas encore au vin.

Parmi toutes les écoles d’ingénieurs, Changins est certainement celle qui accueille la plus grande proportion d’étudiantes. Quels efforts avez-vous faits pour atteindre cette égalité?

C’est arrivé naturellement. Je me souviens, en 2010, le doyen de l’époque nous a dit «j’ai un scoop! Je vous annonce que la prochaine voléeHES atteindra la parité.» Les femmes se lancent probablement moins volontiers dans un CFC de viticultrice ou de caviste, par contre, une fois passé la vingtaine, elles envisagent peut-être plus facilement de reprendre une exploitation familiale. Les clichés sur l’égalité dans le métier ont tendance à disparaître. Même si nos diplômées nous confient que, dans la réalité des entreprises, ce n’est parfois pas facile.

Les vins natures, la biodynamie, les cépages résistants… Tous ces thèmes divisent la profession. Comment l’enseignement de Changins se positionne-t-il sur ces sujets?

De notre côté, il y a une ouverture totale. Même si elle n’est peut-être pas encore perçue comme telle. Notre maître mot est: nous sommes une école, notre approche ne doit pas avoir d’a priori, pas de tabou. Nous privilégions l’approcherigoureuse, scientifique et ouverte. Tout n’est pas prouvé, tout n’est pas prouvable, dans lesquestions de biodynamie notamment. Nous sommes actifs aussi dans les projets de recherche à ce niveau-là. Je pousse très, très fort à l’interne pour qu’il n’y ait aucun tabou. Nousserions une très mauvaise école si nous décidions de ne pas enseigner tel ou tel sujet sous prétexte que nous sommes contre! Ce serait inacceptable. J’ai participé à toute la mise enplace de la production intégrée. C’était ça, mon monde. Ce en quoi j’ai cru pendant longtemps. Mais j’accepte maintenant que ça n’allait pas assez loin.

Conrad Briguet

Né en Valais, mais installé dans le canton de Vaud depuis des années, Conrad Briguet a conservé sa curiosité d’enfant. Lorsqu’il parle de l’école qu’il dirige depuis maintenant 17 ans, ses yeux s’illuminent. Il rit des souvenirs ayant marqué sa carrière comme l’histoire de l’institution. De son père qui cultivait la vigne et quelques arbres fruitiers à Flanthey, en Valais, il a gardé cette passion pour le vivant. Plus forte que l’envie de reprendre le domaine familial, sa soif de comprendre et d’apprendre l’a mené sur le chemin du conseil, puis de la formation. Après une maturité scientifique à Sion, il part à l’EPFZ (École polytechnique fédérale de Zurich). À 25 ans, il rejoint l’État de Fribourg pour réaliser unplan de développement de ses domaines viticoles. Se sentir proche de la naturereste un besoin pour celui qui a participé aux premiers travaux de la production intégrée. Après d’autres expériences professionnelles, par exemple à la Commission fédérale pour l’établissement du prix de revient du raisin et du vin, puis comme conseiller viticole chez Prométerre, il endosse dès 2006 le poste de directeur de Changins.

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