L’Alentejo se mérite.

Mon wine week-end à Alentejo

Texte: Anick Goumaz; Photo: Anick Goumaz

Si vous connaissez un peu l’Alentejo, ce titre doit vous faire sourire… Résumer un territoire aussi grand que la Belgique en un week-end, ça n’a pas de sens! Et pourtant, sa taille impressionnante ne doit pas nous décourager de passer même quelques jours dans ses «herdades», dans les caves de «talhas», dans les forêts de chênes-lièges ou au bord d’un des plus grands lacs artificiels d’Europe.

Quitter les côtes océaniques, s’enfoncer à l’est dans les terres du Portugal… Encore peu de touristes tentent cette aventure! L’Alentejo se mérite. Au départ de Lisbonne et de Porto, il accueille ses hôtes avec des étendues de champs qui semblent secs, presque abandonnés tant les habitations sont rares. Quelques viaducs portent les voyageurs pour leur faire traverser ces mers arides. Bien vite, l’Alentejo commence à abattre ses cartes. Le paysage change de manière inespérée, il deviant plus vert, se pare de magnifiques pins et, naturellement, des fameux chênes-lièges. Des grands espaces rappelant le sud de l’Espagne et parfois carrément l’ouest des Etats-Unis, on atterrit soudainement en Provence et même, par endroit, dans un décor digne de la Comté de Tolkien. L’Alentejo représente un tiers du territoire portugais, mais il n’héberge que 5% de ses habitants. Il fait partie des régions les moins peuplées d’Europe. Pas étonnant que l’UNESCO le reconnaisse comme lieu privilégié d’observation des étoiles. La pollution lumineuse n’est pas un sujet en Alentejo. Les conditions climatiques extrêmes sont par contre sur toutes les lèvres. Même si on préfère voir le reservoir à moitié plein qu’à moitié vide.

Dans cette zone parmi les plus chaudes d’Europe, la vigne survit presque miraculeusement. À y regarder de plus près, on ne peut finalement pas vraiment la plaindre. La chute drastique des températures la nuit offre une amplitude favorable à la plante. Et l’irrigation? On met en avant la bonne gestion des eaux, grâce notamment au nouveau grand lac artificiel d’Alqueva. Les vagues de chaleur dues au dérèglement climatique donnent plus de cheveux blancs à la branche vitivinicole. Différentes études ampélographiques apportent du réconfort en prouvant la résistance des cépages autochtones. Ces derniers, comme dans la plupart des regions viticoles historiques, sont valorisés plus que jamais.

Incontournable, l’Antão Vaz représente le cépage blanc emblématique de l’Alentejo. Il deviance d’assez loin le Roupeiro, lui aussi autochtone, mais développant moins de capacités de garde. Les rouges, totalisant 78% de l’encépagement, prêtent allégeance à l’Alicante Bouschet. Omniprésent, il n’est pourtant pas considéré comme autochtone, puisqu’il est né du croisement entre Petit Bouschet et Grenache. Il se reconnaît à ses baies plutôt petites et il s’adapte très bien sur les terres arides. «Au Portugal, les assemblages coulent dans nos veines», s’enthousiasme Bernardo Leal da Costa, du domaine Ervideira. En effet, l’Alicante Bouschet cède volontiers un peu de place très souvent au Touriga Nacional, star nationale.

«Vagar» à Évora

Cette expression typique de l’Alentejo a été choisie comme slogan de la communication d’Évora, capitale européenne de la culture en 2027. «Vagar est un terme intraduisible», sourit Olga Correia Miguel, guide touristique dans la plus grande ville de l’Alentejo.

«Ici, la viticulture moderne est récente, alors que l’élevage en talhas remonte à l’époque romaine.»

Gonçalo Mendes, chef sommelier chez L’And Vineyards

«Cela veut dire: prendre le temps de faire les choses. Nous, les habitants de l’Alentejo, avons l’image de gens lents. Nos compatriotes se moquent un peu de nous. Alors que nous aimerions que vous soyez tous comme nous! Le monde va trop vite.» Prendre le temps à Évora… Quel programme alléchant! La ville inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO invite en effet à la flânerie… et à la gourmandise! Rendez-vous à la salle de dégustation de la Route des vins de l’Alentejo, situé juste à côté de la magnifique cathédrale – datant du XIIIe siècle, aux airs de château. Des dégustations commentées y ont lieu toutes les heures. On y parle de cépages autochtones, de foulage au pied, d’assemblages et des incontournables «talhas». Introduites par les Romains il y a 2000 ans, ces grandes amphores en terre glaise restent courantes de nos jours en Alentejo, et surtout dans le village Vila de Frades, autoproclamé «capitale des talhas». Le raisin fermente dans ces amphores, où il est généralement bâtonné jusqu’à trois fois par jour pour l’oxygénation et l’extraction. Des «jupes» en tissu remplies de glace les entourent et évitent la hausse de la température de fermentation. Une fois les sucres transformés en alcool, les talhas sont fermées et le vin repose. Il ne sera pas consommé avant le 11 novembre.

Hormis le vin, l’Alentejo rayonne grâce à ses chênes-lièges (84% de la production nationale) et à son huile d’olive. Le géant Esporão (11 millions de bouteilles de vin par an) s’y est mis. «Nos dégustations d’huiles d’olive permettent d’associer les enfants à l’œnotourisme», avoue António Roquette, directeur de l’œnotourisme chez Esporão. Depuis que son restaurant a reçu une étoile Michelin, la Herdade do Esporão à Reguengos de Monsaraz ne connaît plus de saison basse. Il est pourtant conseillé de privilégier l’automne, le printemps ou le début de l’été pour visiter l’Alentejo. En août, la population peut tripler par endroit. Tandis qu’à la saison plus froide, trouver un café ouvert s’avère difficile. Dommage, car il est si doux de s’installer sur une petite terrasse dans une ruelle d’une bourgade typique de l’Alentejo, pour savourer un pastéis de nata, bien sûr!

Expérience et nature

D’une capitale à une autre: Lisbonne et Évora sont séparées par moins de 150 km en voiture. Grandes étendues, vignobles, chênes-lièges et même lacs en mettent plein la vue.

Infos

Organiser son voyage

Du cœur de l’Alentejo à l’est, jusqu’aux bords de l’océan à l’ouest, les paysages, les vins, mais aussi les activités touristiques varient du tout au tout. Pour s’y rendre et en profiter au maximum, il est conseillé de prendre l’avion jusqu’à Lisbonne et de louer une voiture.

www.visitalentejo.com

 

Incontournable, le liège

Le Portugal produit 60% du liège utilize dans le monde, principalement pour le conditionnement du vin, mais également comme matériau d’isolation ou de décoration. Ce liège provient à 84% de l’Alentejo. Pour se familiariser avec le chêne-liège, il suffit de sillonner ses forêts, par exemple près des menhirs d’Almendres, à l’ouest d’Évora.

Capitale européenne de la culture en 2027

Évora

Plus grande ville de l’Alentejo, Évora abrite pourtant uniquement 50 000 habitants, dont 5000 au cœur du centre historique. Cette cité ainsi que les abords de la ville sont délimités par quatre kilomètres de murs construits il y a 700 ans pour les plus récents. Préservée et representative des centres urbains du XVe et XVIe siècle, Évora a été reconnue comme patrimoine mondial par l’UNESCO en 1986. Bientôt, elle se retrouvera à nouveau sous le feu des projecteurs, puisqu’elle a été désignée il y a quelques mois Capitale européenne de la culture en 2027.

 

Activités aquatiques

Grand lac d’Alqueva

Un des plus grands lacs artificiels d’Europe, le grand lac d’Alqueva a mis dix ans à se remplir après la construction du barrage. Aujourd’hui, il s’étend jusqu’à former une partie de la frontière avec l’Espagne et commence tout juste à attirer les touristes. Créant un paysage unique et inattendu dans une region connue pour son aridité, l’énorme lac de 25 000 ha offre de nombreuses possibilités de loisirs aquatiques. La location de bateaux navigables sans permis permet par exemple de se lancer dans une croisière privée le long des magnifiques villages et «herdades» occupant les rives. La région, Presque exempte de pollution lumineuse, est également reconnue par l’UNESCO comme un site privilégié d’observation des étoiles.

www.visitalentejo.com

 

Boire et manger

Jusque-là absent du guide Michelin, l’Alentejo comptabilise une première étoile depuis quelques mois. Cette reconnaissance semble avoir donné des idées à des chefs au talent indéniable.

Bons plans

Doces da Praça
Les meilleures douceurs d’Évora

Que serait le Portugal sans ses pastéis de nata? De passage à Évora, une halte chez Doces da Praça s’impose. Le petit établissement à la large terrasse ensoleillée est idéalement situé à quelques enjambées de l’incontournable Praça do Giraldo.

 

Enoteca Cartuxa

L’antre du prestigieux Pêra Manca Si nous sommes peu à pouvoir accéder à la cuvée Pêra Manca, certainement l’un des vins portugais les plus chers, prestigieux et rares, nous avons tout de même la possibilité d’entrer dans son monde en visitant l’œnothèque de la maison Cartuxa, à Évora. Pour accompagner les vins du domaine: une cuisine régionale réinventée.

www.cartuxa.pt

 

Café Alentejo
Délicieuse cuisine de l’Alentejo

Dans un bâtiment historique qui, de mémoire d’homme, a toujours abrité un restaurant, le Café Alentejo est géré par la même famille depuis près de 25 ans. À ne pas manquer, le plat signature de la maison: la queue de bœuf mijotée au vin rouge.

www.restaurantecafealentejo.com

Restaurante Dom Joaquim
Valeur sure

À quelques pas du superbe temple romain d’Évora, le Restaurante Dom Joaquim représente une valeur sûre au bon rapport qualité-prix pour se délecter de spécialités locales. On ose la morue, le fameux Bacalhau portugais, qui, malgré sa mauvaise réputation, reste un vrai délice lorsqu’elle est bien préparée, comme dans cette enseigne d’Évora.

www.restaurantedomjoaquim.pt

 

Herdade do Esporão

L’étoilé Michelin

Pionnier de l’œnotourisme portugais, Esporão reste l’un de ses plus grands acteurs. Le restaurant de l’énorme domaine s’est toujours efforcé de respecter les ressources. Les plats se montrent à la fois simples et inventifs, mettant en valeur les matières premières. Cette qualité a récemment été récompensée par le guide Michelin avec une étoile – la première en Alentejo! – et une «Green Star». Le petit bonus: choisir son ambiance entre le restaurant gastronomique et un café plus convivial, mais empreint du même soin du détail.

www.esporao.com

L’And Vineyards

Une cuisine design

Associant hébergement, gastronomie et viticulture, L’And Vineyards est un projet familial première classe. Le vignoble de six hectares produit 10 000 bouteilles par an, réservées à la clientèle du restaurant et de l’hôtel. La cuisine de Nuno Amaral vise elle aussi l’étoile. Mention spéciale pour une «bouillabaisse portugaise» mémorable et pour une spécialité sucrée revisitée: l’encharcada. Un peu élevés pour la région, les tarifs deviennent très intéressants si combines avec la nuitée.

www.l-and.com

Herdade da Malhadinha Nova

Relais & Châteaux

Située à une centaine de kilomètres au sud d’Évora, la Herdade da Malhadinha Nova n’est pas à la portée de toutes les bourses et demande un certain goût pour l’aventure pour s’engouffrer sur les routes rurales qui y mènent. Parrainé par le chef étoilé Joachim Koerper du fameux Eleven à Lisbonne, le restaurant donne un avant-goût du raffinement des lieux, dans un cadre dépaysant audesign très léché. Une bonne idée pour vivre l’expérience Herdade da Malhadinha Nova sans investir dans l’hébergement au tarif de palace.

www.malhadinhanova.pt

Hébergement

Dormir au cœur du vignoble, dans des bâtiments historiques ou au centre d’une petite cité: l’Alentejo démontre toute son inventivité pour accueillir ses hôtes.

Bons plans

Hotel Moov Évora

Pour celles et ceux qui cherchent un hôtel simple, mais neuf et confortable, idéalement situé en plein centre historique d’Évora. L’établissement au très bon rapport qualité-prix dispose de 80 chambres sur trois étages encerclant un patio. Parking privé payant.

www.hotelmoov.com

 

Pousada Convento Arraiolos

Les pousadas désignent au Portugal des bâtiments séculaires transformés en hôtels. Celui d’Arraiolos, à 25 km au nord d’Évora, permet de découvrir ce charmant village et son impressionnant château médiéval. Bon prix pour un hébergement historique équipé d’une belle offre gastronomie et bien-être.

www.pousadas.pt

 

Monte da Serralheira

Dans l’Alentejo, région de producteurs terriens, les agritourismes et country houses sont légion. Certains offrent un grand luxe et les tarifs qui vont avec. À Monte da Serralheira, à Évora, George et Lucia accueillent leurs hôtes dans un confort agréable et une grande convivialité, pour des prix très raisonnables.

www.monteserralheira.com

 

São Brás do Regedouro

Ce modeste village dans la campagne au sud d’Évora a transformé certaines de ses humbles masures en hébergement au petit supplement d’âme. Studios, maisons avec une ou deux chambres à coucher et maisons avec confort supérieur fournissent le gîte contre un bon prix.

www.regedouro.com

 

Convento do Espinheiro

Dormir dans un couvent

Lors de son ouverture en 2005, le Convento do Espinheiro était le premier cinq-étoiles de la région. Près de 20 ans plus tard, il reste considéré comme le plus bel endroit où séjourner à Évora. L’atmosphère unique de ce bâtiment du XVe siècle imprègne tout l’hôtel, des suites jusqu’au bar à vins, au restaurant situé dans l’ancienne cave et surtout à la chapelle d’origine où se tiennent encore quelques messes chaque année. Avec des chambres doubles à partir de 200 € la nuit, le rapport qualité-prix est imbattable.

www.conventodoespinheiro.com

 

 

Herdade da Malhadinha Nova

La Country House

Le chemin du couple Soares a été long, de la reprise du terrain familial flanqué de maisons sans fenêtre ni toit, en passant par la plantation des premiers 20 ha de vigne en 2001 (aujourd’hui, le vignoble totalise plus de 80 ha sur les 455 ha de terrain de la famille), suivis d’une cave deux ans plus tard et enfin d’un complexe de logements cinqétoiles il y a quatre ans. Vivre une vie de luxe dans un environnement rural préservé: une expérience dépaysante. Dès 400€ la nuit en chambre double.

www.malhadinhanova.pt

 

L’And Vineyards

Dormir sous les étoiles

Si un méchant de James Bond avait eu envie de produire du vin, il se serait installé à L’And Vineyards. Le design épuré et les gadgets tout confort – certaines chambres sont équipées de toits ouvrants pour dormir sous les étoiles et d’un bassin extérieur privé qu’on remplit à l’envi d’eau chaude ou froide – rappellent en effet certains des fameux films de l’espion anglais. Bien qu’un peu décalée, cette atmosphère invite à un séjour pour se faire du bien entre nuits à la belle étoile, dégustation de vins et repas gastronomique de haut vol.

www.l-and.com

 

Vins corsés…mais pas que!

Les vins de l’Alentejo gardent une réputation séductrice, gorgée de soleil. Ce profil se retrouve en effet Presque partout, mais les cépages autochtones blancs et les spécialités nous ont surprises.

Nos coups de cœur

Antão Vaz 2021, Herdade do Rocim

Complexe, cet Antão Vaz – blanc autochtone incontournable – libère des arômes de gentiane, de peau de poire, avec une pointe d’allumette. Complet en bouche, il se montre à la fois frais, vif avec un soupçon terreux qui lui donne du caractère.

Monte Velho 2021, Esporão

On retrouve l’Antão Vaz, cette fois assemble avec du Roupeiro, l’autre star blanche régionale. Bavard, le nez parle de citron vert, de camomille, avec des touches de gentiane et de pierre mouillée. La bouche est cohérente et très longue.

Invisivel 2022, Ervideira

Unique, ce blanc de noirs issu du cépage Aragonez (Tempranillo) explose sur les notes de petite prune, de pêche, de mangue, mais aussi de pomme verte, complexifiés par une jolie amertume finale.

Natalha Rouge 2021, Geraçoes da Talha

Ce petit producteur réhabilite l’élevage traditionnel en talhas (amphores). Son Natalha rouge surprend déjà par sa robe peu intense pour la région. Avec ses accents de framboise, cet assemblage de cépages autochtones pourrait passer à l’aveugle pour un Pinot Noir.

Moreto Pé-Franco 2017, Granja Amareleja

Proche de la frontière espagnole, cette coopérative propose un vin préphylloxérique issu du cépage Moreto. Il exhale la cerise noire, le kirsch, les feuilles de géranium. Au palais, il se montre équilibré et fruité avec des tanins poudrés. Un brin rustique, dans le bon sens du terme.

Domaine

Ervideira

Même si sa surface de production a récemment atteint 116 ha et qu’elle a la capacité de sortir un million de bouteilles par an, Ervideira reste vue comme une entreprise familiale. L’ambiance des lieux est effectivement très humaine. L’accueil des touristes, qui peuvent participer au foulage au pied et créer leur propre assemblage, fait partie de ses missions centrales, tout comme le développement de produits innovants. Parmi eux, les «vinho daagua» blancs et rouges, élevés pendant huit mois au fond des eaux du grand lac d’Alqueva.

www.ervideira.pt

 

22 000
82

22 000
La surface viticole de l’Alentejo représente 10% des vignes portugaises et 1,5 fois le vignoble suisse.

82
sont autorisés en AOC ou en IGP dans l’Alentejo.

Élevage traditionnel

Gerações da talha

Le petit village de Vila de Frades, à la frontière entre les districts d’Évora et de Beja, s’est autoproclamé «capitale des talhas». Cette tradition de l’élevage en amphores, introduite par les Romains il y a 2000 ans, est perpétuée par cinq entreprises dans la commune, dont Gerações da talha. Parmi leurs 50 talhas, dont l’une datant de 1874, une vingtaine sont utilisées pour la production de 50 000 bouteilles par an. Ce chiffre n’a pas toujours été si haut, mais il faut bien répondre aux aficionados des vins natures – dans la talha, les levures sont indigènes et on n’ajoute pas de sulfites, à part une petite quantité à la mise en bouteilles. Plus de 50% des vins s’exportent au Japon, suivi par la Corée et les USA. Autour d’une grand table familiale dans un patio: la dégustation sur place vaut le détour.

www.geracoesdatalha.com

 

 

 

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