Winzerhof Thörle, Hesse rhénane

Les petits prodiges

Texte: Rudolf Knoll

Il y a encore dix ans, le nom de Thörle était inconnu dans le vignoble de Hesse rhénane. C’était avant que deux frères ambitieux n’entament une rapide ascension et ne rendent célèbre Saulheim, leur ville natale.

«A droite dans 50 mètres. A gauche dans 100 mètres. A gauche dans 200 mètres. Puis, vous arriverez à destination sur votre droite.» Impossible de trouver son chemin sans GPS dans Saulheim, une ville de Hesse rhénane, région au cœur de l‘Allemagne parfois plus connue sous son nom germanique de Rheinhessen. Une fois arrivé dans un charmant village vigneron, il faut encore choisir entre les portes cochères de deux domaines. Nous entrons au numéro 40 qui affiche «Winzerhof Thörle» et sommes tout de suite accueillis par un jeune homme de grande taille. Il nous con" e mesurer pas loin de deux mètres et nous reçoit dans sa jolie petite vinothèque. Johannes Thörle aurait peut-être pu devenir un excellent joueur de basket. Mais il a choisi une autre voie et a décidé très tôt de devenir vigneron.

Ce métier ne lui a pas été imposé au berceau. Pourtant, ses parents Rudolf Thörle (60 ans) et Uta Mück-Thörle peuvent attester que la famille pratiquait déjà la viticulture au 16 e siècle. Bien entendu, comme souvent en Hesse rhénane, la culture du raisin ne constituait qu’une partie de l’activité agricole de l’exploitation mixte qui caractérisait les fermes de la région. Il y a 25 ans, la famille s’est peu à peu spécialisée dans la viticulture, surtout dans la production de vin en vrac que les Thörle élaboraient pour de grandes caves. Le père a ensuite commencé à vendre ses propres bouteilles. De manière progressive au départ, puisqu’il y a dix ans encore, le domaine de neuf hectares ne mettait en bouteille que 15% de sa production.

Rudolf Thörle a toutefois misé sur l’avenir en pariant sur la personne de son fils Johannes. Il était aussi certain que son cadet, Christoph, se tournerait également vers la viticulture. Il a ainsi transformé la cave voûtée, âgée de près de 500 ans, en un bâtiment moderne. S’il paraissait démesuré à l’époque, celui-ci atteint aujourd’hui ses limites, avec une production annuelle de 120 000 à 140 000 bouteilles. A tel point que la famille envisage une nouvelle extension. En 2006, Johannes, alors âgé de 24 ans, rejoint l’entreprise après avoir achevé ses études en viticulture à Heilbronn et réalisé des stages en Afrique du Sud (Eikendal à Stellenbosch) et chez Wittmann, le grand vigneron de Hesse rhénane sis à Westhofen. «Ce dernier m’a beaucoup marqué», dit-il avec conviction. Aussi, une fois la transformation de son domaine terminée, ce qui prendra encore quelques années, Johannes Thörle entend mettre en pratique ce qu’il a appris chez ce spécialiste expérimenté du bio. Il a pris cette décision avec son frère Christoph (30 ans). Après avoir travaillé sur le domaine tout au long de ses études en informatique de gestion, puis pendant son temps libre au début de sa vie professionnelle, celui-ci a rejoint l’entreprise familiale en 2012.

Scepticisme paternel

Lorsque Johannes a pris en main la vinification, il a fait pas mal d’essais et raté quelques fûts. La première année, ses expérimentations ont irrité plus d’un voisin. «Ils n’arrivaient pas à comprendre que moi, jeune blanc-bec, je coupe des raisins verts à la " n juillet pour réduire le rendement des ceps.» Même son père cultivait de forts doutes concernant cette stratégie qui misait sur des vins de qualité plus chers que les vins produits habituellement. Il lui a pourtant laissé carte blanche quand il a vu que Pinot Noir, Riesling et Silvaner (une pépite!) se vendaient très bien.

«Nous avons dû procéder à quelques ajustements pour dévoiler tout le potentiel de nos terroirs.»

Johannes Thörle Vigneron

«J’ai très vite compris que nous devrions procéder à quelques ajustements pour dévoiler tout le potentiel de nos terroirs », raconte Johannes. «Saulheim a été considérée pendant des siècles comme une terre de bons vins. Avant que cette bonne renommée ne tombe dans l’oubli.» Pour se démarquer, le jeune vigneron a misé dès ses débuts sur la qualité. Il lui a fallu investir pour agrandir le domaine. Celui-ci totalise aujourd’hui 19 hectares, répartis entre Riesling (45%), le cépage dominant, Pinot Noir (25%) et Silvaner (15%). A la suite de la réorganisation, plusieurs cépages «modernes» ont disparu de la gamme. Johannes Thörle a cherché en premier lieu à acquérir de vieilles vignes. Peu importe qu’elles soient divisées en une centaine de parcelles, synonyme pourtant de labeur compliqué. Les vendanges étant toutes réalisées à la main, les frères sont ravis que leur domaine soit posé sur de douces collines et non sur des coteaux abrupts Les raisins qui arrivent en cave macèrent la plupart du temps sans adjonction de levures. Les vins blancs passent un long moment sur lies. Celles-ci sont toujours bâtonnées, gage d’onctuosité et de profondeur aromatique. Le Pinot Noir est entièrement égrappé et macère près d’une semaine. Le moût fermente ensuite deux semaines supplémentaires avant d’être entonné dans des barriques de Bourgogne, en bois neuf ou non selon l’objectif visé. «Il arrive que nos femmes rouspètent quand nous dépensons chaque euro de bénéfice dans de nouveaux fûts sans rien garder pour nous», plaisante Christoph. Les deux frères ont la chance, pour ainsi dire, que leurs moitiés aient leur propre vie professionnelle. Isabel (la femme de Johannes) est organisatrice d’événements. Janika (l’épouse de Christoph) travaille dans la finance. Toutes deux s’intéressent au vin. Rudolf et Uta, les parents des deux frères, sont toujours impliqués dans l’entreprise familiale. Des chambres d’hôtes ont, en outre, été aménagées dans l’ancienne salle des pressoirs.

Les frères Thörle s’étonnent parfois eux-mêmes des progrès accomplis sur le domaine en l’espace de quelques années. «Nous avons procédé à beaucoup de changements», reconnaît Johannes. Ces nouvelles façon de faire ont attiré l’attention de leurs collègues. La famille a adhéré, il y a plusieurs années déjà, à l’association Message in a Bottle qui réunit certains des meilleurs vignerons de Hesse rhénane. Bien qu’ils n’en soient pas membres, les frères ont aussi appliqué en interne le système à trois niveaux (Gutswein, Ortswein et Lagenwein) de l’association régionale Verband der Prädikatsweingüter (VDP). Leurs trois principaux terroirs Probstey, Hölle et Schlossberg aux sols très calcaires possèdent le potentiel pour donner naissance à de grands crus.

Les vins de l'offre du club

Spätburgunder Saulheimer Kalkstein 2013

Cassis frais et délicat au nez, nets arômes de Pinot en bouche, soulignés par des notes de fines herbes, structure à la fois ferme et élancée, fruit délicat (cerise noire), vin très vif et gouleyant.

Cépages
100% Pinot Noir

Apogée
2016 à 2020

Mariage
Carpaccio, consommé de tomate, canard, lièvre, rôti de boeuf

 

 

Riesling Saulheimer Kalkstein 2014

Notes épicées au nez, soulignées par des accents minéraux; acidité raffinée, fondante, légèreté plaisante, stimulante. Vin de longue macération (3 g/l de sucre résiduel), dont le style sans fard nous a séduits.

Cépages
100% Riesling

Apogée
2016 à 2018

Mariage
Pâtés, plats légers à base de viande, salades, fruits de mer, risotto, quiche.

 

 

Riesling Saulheimer Hölle 2014

Le «grand cru» du domaine en quelque sorte. Bouquet de pamplemousse et de zeste d’orange, note minérale et salée, qui persiste en finale, très fondant, racé, tout en finesse.

Cépages
100% Riesling

Apogée
2016 à 2020

Mariage
Plats à base de veau, autres poissons nobles, crevettes et scampi, vitello tonnato.