CLASSIQUE & FUNKY

Au sommet de leur art!

Texte: Thomas Vaterlaus, Photos: Linda Pollari

L’Alsace, ses pittoresques maisons à colombage ornées de fleurs, ses auberges romantiques, ses vins baroques riches en sucre résiduel… L’angoisse pour les puristes. Il faut dire que les préjugés ont la peau dure. Mais le panel professionnel de VINUM le montre: les crus classiques des meilleurs vignerons séduisent désormais par leur clarté et leur précision. Et qu’en est-il des vins orange? Les Alsaciens sont tout simplement au sommet de leur art!

Cette dégustation était un véritable cas d’école. À commencer par la robe des vins. Les dix crus classiques de la première série étincelaient tous de leur robe jaune-vert clair en verre. Les teintes orange sont entrées dans la danse à partir du onzième échantillon, variant du jaune safran au moka, en passant par la rouille et l’ambre. Le tout avec différents degrés de turbidité. Cette palette de couleurs a de quoi laisser les néophytes sceptiques. Pourtant, au fil de la dégustation, le scepticisme a cédé sa place à une fascination grandissante pour ces diamants bruts alsaciens. Au final, les dix interprétations «unplugged» ont obtenu une moyenne quasi identique à celle des dix classiques, atteignant respectivement 17.1 points et 17.2 points. Alors même que la selection classique était composée d’icônes, comme le Riesling Cuvée Frédéric Emile de la maison Trimbach ou le Pinot Gris Rotenberg de Zind-Humbrecht.

Riesling frais – Pinot Gris baroque

Des décennies durant, les sélections monocépages et les grands crus en majorité de Riesling, de Pinot Gris et de Gewürztraminer ont dominé le paysage viticole alsacien. Les vins de cette école classique affichent aujourd’hui une forme impressionnante. Lors de cette dégustation du panel professionnel de VINUM, cette catégorie était constituée à parts égales de Riesling et de Pinot Gris. Les Riesling ont néanmoins décroché une meilleure moyenne (17.5 points) que les Pinot Gris (16.9 points). Cet écart est dû aux qualités sensorielles des deux cépages. Les cinq Riesling ont été perçus comme étant «secs et frais», tandis que quatre représentants du Pinot Gris étaient «des demi-secs plutôt baroques». L’excellent Pinot Gris Rotenberg 2019 de Zind-Humbrecht, à Turckheim, un vin très croquant, a été le seul à sortir du lot. L’évaluation permet de conclure qu’aujourd’hui les Riesling secs avec leur onctuosité, leur précision et leur minéralité souvent prononcée (pétrole, silex, etc.) séduisent en général davantage les vinophiles que le Pinot Gris et le Gewürztraminer (ce dernier n’était toutefois pas représenté lors de cette dégustation). De plus, les Riesling alsaciens se distinguent nettement de leurs concurrents internationaux, qu’ils viennent d’Australie méridionale, d’Allemagne, d’Autriche ou des États-Unis. A contrario, le style baroque du Pinot Gris correspond à l’image traditionnelle du vin blanc alsacien. Ces vins dévoilent pourtant un charme unique et constituent un excellent choix dès lors qu’ils sont dégustés dans le contexte idéal, par exemple sur une tourte à la viande servie dans une auberge conviviale. 

Mais le plus intéressant dans cette dégustation est le fait qu’une tout autre vision du grand vin alsacien est en train de s’imposer depuis quelques années. Il serait fallacieux de parler d’une nouvelle école, car ces vins reposent sur des idées très anciennes. Nombreux sont ceux à penser que ces vins, que nous qualifions de «funky» ou d’«unplugged», reviennent aux origines de la viticulture alsacienne. Il est clair aussi qu’ils ne constituent pas une catégorie homogène. Certains vins – des assemblages et même des cuvées parcellaires, c’est-à-dire desvins issus d’une même parcelle plantée de différents cépages – s’affranchissent de la doctrine puriste. D’autres sont des vins orange classiques, qui ont subi une macération. De plus, la majorité des vins de cette seconde catégorie ne contient pas de sulfites. Cela donne des vins d’une expressivité aromatique et d’une onctuosité remarquables, qui allient acidité prononcée et amertume vigoureuse. Ils dévoilaient aussi un équilibre, une harmonie et une pureté saisissants. Les notes de jus de pomme ou d’étable étaient à peine perceptibles. Il a été plus difficile de déterminer dans quelle mesure ces «Alsaciens funky» laissaient entrevoir leurs origines ou si la vinification avait masqué le caractère des cépages et le terroir. Conclusion: on retrouve clairement le terroir dans ces vins, même s’il n’est pas aussi facile à reconnaître que dans un Riesling ou un Pinot Gris monocépage de l’ancienne école classique.

Quelle que soit la catégorie, les vins les mieux notés étaient ceux qui représentaient à la quasi-perfection leurs racines alsaciennes. C’est ainsique, chez les classiques, c’est le Riesling Schoenenbourg 2016 du Domaine Trapet qui s’est imposé. Ce domaine doit sa particularité au fait qu’il se trouve en Bourgogne, plus précisément àGevrey-Chambertin dans la prestigieuse Côte de Nuits, où il figure parmi les meilleurs domaines. Il exploite des terres en Alsace depuis 2002 seulement, année à laquelle Andrée Trapet a pu reprendre l’entreprise de ses parents. Forte de sa vision bourguignonne et de ses principes biodynamiques, elle tire de la parcelle Schoenenbourg un cru, qui reflète avant tout son terroir de marne, degypse, de grève et de grès coquiller. Dans la catégorie «unplugged» ou autrement dit «funky», c’est Le Scarabée Skin Touch 2016 de Christian Binner, un cru emblématique du mouvement orange alsacien, qui l’a emporté. L’assemblage de Gewürztraminer, de Riesling et de Muscat est réalisé à partir de raisins en partie récoltés tardivement dans le grand cru Kaefferkopf et est élevé 24 mois dans de grands fûts. Du grand art dans la plus pure traditionalsacienne dans les deux cas, même si ces deux vins ne pourraient pas être plus différents l’un de l’autre.


«Cette dégustation a été une véritable pochette surprise. Il est clair que les vignerons alsaciens veulent tordre le cou aux vieux clichés du vin gentillet et uniforme. Plusieurs vins ont dévoilé un grand potentiel. J’ai été particulièrement surprise par la sapidité et l’élégance des vins naturels. Un vent de changement souffle ici comme le prouve cette dégustation. Reste à savoir ce qu’il va apporter.»

Lidwina Weh Sommelière, Wohlen (AG)

«La composition de cette dégustation avec dix vins classiques et dix vins naturels nous a offert un aperçu très intéressant de ce que l’Alsace proposeaujourd’hui. Les vins macérés affichent une grande expressivité personnelle. Malgré leur richesse, certains étaient marqués par l’acidité et une légère dureté. Je me demande quelles sont les meilleures occasions pour déguster ces vins.»

Paul Liversedge Négociant, auteur et consultant, Vico Morcote (TI)

«Voilà l’Alsace qu’on aime! J’ai été impressionné par l’incroyable palette stylistique de cette sélection claire. Mais j’ai été aussi surpris par le niveaude qualité élevé des vins macérés. De plus, les crus se sont, en général, avérés moins doux que ce à quoi je m’attendais.»

Adrian van Velsen Auteur et blogueur, Windisch (AG)

«Les vins alsaciens sont en pleine mutation et franchissent un cap. Ils méritent le déplacement. En effet, les nouveaux vins, ou plus exactement, les nouveaux vins anciens, en raison de leurs origines alsaciennes, affichent un niveau de qualité qui ne séduira pas que les adeptes de vin nature, mais tous les vinophiles en quête de crus qui n’ont pas peur de sortir du lot par leur caractère unique.»

Karin Wymann Karin Wymann Négociante, Zurich (ZH)

Le jury

De gauche à droite

Miguel Zamorano
Rédaction de VINUM, Zurich
Son favori: Riesling Alsace AOC2019/2020 de Kumpf & Meyer

Paul Liversedge MW
Négociant, auteur, consultant, Vico Morcote
Son favori: Riesling Cuvée Frédéric Emile Alsace AOC 2016 du Domaine Trimbach

Karin Wymann
Négociante, Zurich
Son favori: Le Scarabée Skin Touch Alsace AOC 2016 du Domaine Christian Binner

Adrian van Velsen
Auteur et blogueur, Windisch
Son favori: Pinot Gris Rotenberg du Domaine Zind-Humbrecht

Thomas Vaterlaus
Rédaction de VINUM, Zurich
Son favori: Pinot Gris Alsace AOC 2019 de Jean Ginglinger

Stefan Iseli
Restaurateur et sommelier, Zurich
Son favori: Riesling Roche Roulée Alsace AOC 2020 du Domaine Zind-Humbrecht

Lidwina Weh
Sommelière, Wohlen
Son favori: Riesling Schoenenbourg Alsace AOC 2016 du Domaine Trapet

Carsten Fuss
Négociant et professeur (Académie du Vin)
Son favori: Riesling Schoenenbourg Alsace AOC 2016 du Domaine Trapet

vinum+

Continuer la lecture?

Cet article est exclusivement
destiné à nos abonnés.

J'ai déjà un abonnement
VINUM.

Je souhaite bénéficier des avantages exclusifs.